Ubérisons l’Etat !

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L’ubérisation, tout le monde en parle, tout le monde la craint. Tout le monde, vraiment? Oui vraiment, et même l’Etat, comme l’expliquaient Clément Bertholet et Laura Létourneau devant un parterre varié à l’Ecole des Mines, venu écouter leur soutenance intitulée « Ubérisons l’état ».
je suis uber

Il n’existe pas d’ontologie de l’ubérisation. On lui associe de nombreux termes: économie collaborative, dématérialisation, concurrence par les amateurs, etc. Rendons à Maurice ce qui appartient à Maurice: c’est Maurice Levy qui aurait popularisé le terme il y a quelques temps. A l’ubérisation, il faut associer une plateforme numérique de confiance, sans infrastructures physiques ni opérateurs et tournée vers le client.

Les menaces d’ubérisation des services publics arrivent et les GAFA y contribuent (on devrait dire GAFAM désormais). Quelques exemples? Le Safety Check introduit par Facebook en 2015, beaucoup plus efficace qu’un numéro vert gouvernementale. Choisir ses études supérieures? LinkedIn, racheté par Microsoft, vous aide à trouver la meilleure école pour votre profil. Les télécommunications? Google s’en charge. Les menaces d’ubérisation menacent aussi bien les services marchands que les non marchands.

Cela concerne aussi les services régaliens. On n’aura sans doute pas demain de police Google ou d’armée Facebook (encore que Google en sait plus sur nous que certaines polices), mais on n’en est pas loin: l’outil « vous connaissez peut-être » de Facebook a récemment permis à la victime d’une agression de reconnaître son agresseur, ami d’amis d’amis, et dont le profil lui était recommandé…

Quels sont les attributs des services régaliens? La non-exclusivité? Les GAFA l’assurent. La confiance acquise? Google nous a habitués à la lui accorder. Le risque d’obsolescence? Les GAFA offrent des services parfois plus pérennes ou plus pratiques: en ligne, il est plus simple de s’authentifier via un profil Facebook qu’une carte d’identité… Les modalités de l’ubérisation varient également. L’apport du numérique est plus évident au niveau de la distribution, par exemple via les fonctionnalités d’agenda: WeChat le propose déjà en Chine…

C’est l’insatisfaction ressentie par les citoyens qui accélérera la transition. Les GAFA sont d’une efficacité redoutable, et agissent souvent bien mieux que les pouvoirs publics. Même si certains considèrent que les GAFA opèrent en sous-main pour les services américains: Apple a pourtant tenu tête au FBI tout récemment. Les GAFA sont-ils des philanthropes? On a du mal à y croire. Des Businessmen avant tout? Pas si évident non plus.

A quoi correspondrait un Uber-Etat? Il faut là encore distinguer production et distribution. Du côté de la distribution, les deux auteurs mettent en avant une logique de « guichet unique ». La production sera atomisée; elle pourra s’appuyer sur la multitude, ou sur des services sous-employés de l’état (ex: La Poste). Il s’agira alors de transformer des faiblesses en avantages compétitifs (une masse salariale importante, mais une diffusion ultra-fine au niveau local).

Petit focus sur Uber: Uber repose sur une infrastructure GAFA majeure. Uber utilise Google Maps, ses chauffeurs roulent avec Waze, leurs services sont hébergés par Amazon, les applis sont téléchargeables sur l’Apple Store ou Google Play. L’économie d’Uber repose fortement sur les GAFA en tant que méta-plateformes, Uber n’est qu’une plateforme satellite. La position intéressante, c’est celle de la méta-plateforme.

Plus que s’ubériser, l’état devrait devenir lui aussi une méta-plateforme, pour s’adjoindre en plus de plateformes satellites publiques des plateformes satellites privées, souvent encore plus ingénieuses et agiles. Là où l’état construisait jadis des réseaux d’eau et d’électricité, il va falloir désormais construire des méta-plateformes (je sens poindre le futur… Corps des Meta Plateformes de l’Etat). Le mot-clé de l’état méta-plateforme, c’est l’ouverture. L’ouverture par défaut (i.e. expliquer pourquoi on ne s’ouvre pas, plutôt qu’expliquer pourquoi on s’ouvre). Proposer ensuite une couverture contractuelle pour certains services, ou l’ouverture aux autres administrations, comme au travers de le SGMAP.

La dichotomie profit vs. non profit est démodée, afin de garantir l’intérêt général. L’ouverture peut être réciproque. L’état pourrait utiliser par exemple les avis publiés sur un site comme TripAdvisor, pour orienter ses visites sanitaires vers les services qui requièrent une plus vive attention.

A titre d’exemple, les auteurs proposent de découvrir les services de Finamatic, qui, à partir d’un code SIREN, propose à chaque entreprise un parcours personnalisé pour obtenir des aides au financement. Je viens de tester, c’est bluffant !

Finamatic

Le SGMAP a déjà ouvert son API à Finamatic, comme le montre le test ci-dessus (à partir du SIREN, Finamatic retrouve BLOGANGELS: bravo, societe.com sait faire cela depuis des années, mais ne propose pas de rechercher des financements, ils vont eux aussi se faire ubériser un jour…).

En conclusion, l’état doit non seulement s’ubériser et se méta-plateformiser, mais aller encore plus loin. Cela peut aller, selon les auteurs, jusqu’à l’arrivée d’une démocratie 2.0, une démocratie « liquide », où les modes de représentation passent en mode projet. « La nature de l’Etat dépend de l’étendue de l’Espace » (Montesquieu), mais dans un environnement (l’Internet) qui se passe de notion d’espace, qu’est ce que cela signifie?

Un grand merci à Michel Berry qui m’a fait découvrir le travail des deux auteurs, et à ces derniers qui m’ont gentiment conviés à leur soutenance.

Update du 28 juin: un grand merci aux auteurs qui m’autorisent à diffuser la vidéo de leur intervention ci-après.

Les slides sont également disponibles:

Notre du 26 mars 2017: le livre éponyme Ubérisons l’état avant que d’autres ne s’en chargent est désormais disponible !

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