L’entre-soi des élites

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Depuis quelques années déjà, de nombreuses voix se sont élevées, en France, pour critiquer le statu quo ambiant, cet immobilisme politique qui fait que gouvernement après gouvernement, notre pays s’enfonce dans une léthargie profonde, doublée d’un pessimisme quasi unanime. Comment en sommes-nous arrivés là? Pour Maurice Bernard, la réponse tient dans la centaine de pages qu’il a rédigées et publiées sous ce titre volontairement provocateur: l’entre-soi des élites.

entre-soi-elitesLes propos qu’y tient ce polytechnicien, issu du Corps des Telecoms, et ancien directeur de l’enseignement et de la recherche de la prestigieuse école de Palaiseau, en étonneront plus d’un, qui ne s’attendrait pas à ce que le représentant d’une des formations qui a le plus contribué à former ces élites, viennent, d’une certaine manière, « cracher dans la soupe ». Mais ce texte très digne, est ô combien salutaire.

Ce que dit à mots feutrés Maurice Bernard, c’est ce qu’avec un vocabulaire moins digne et plus menaçant dénoncent certaines personnalités issus des partis politiques les plus extrêmes, bien qu’ils en profitent tout autant: une certaine collusion des élites politiques, médiatiques, culturelles, cet entre-soi qui permet « aux copains et aux coquins », comme le disait naguère Michel Poniatowksi – autre représentant de ces mêmes élites – de survivre à la lente érosion de notre société, en maintenant leurs privilèges sans tenir compte du gouffre béant qui les séparent des réels besoins de la société civile.

Maurice Bernard n’est pas avare d’exemple pour étayer son propos. S’appuyant sur des cas précis tirés des deux derniers quinquennats, il reproche aux élites de mettre l’accent sur le mot, au détriment de la chose. La forme médiatique prévaut sur l’action, qui peut bien attendre, et n’avoir parfois jamais lieu. Seule la posture importe, quand bien même elle risquerait de les mettre en porte-à-faux ultérieurement: les médias ont la mémoire sélective. La société du spectacle bat son plein.

Mention spéciale aux cabinets ministériels. Là où les anglo-saxons se contentent d’équipes réduites, nous avons tendance à constituer des cabinets pléthoriques, qui apportent aux ministres les compétences qu’ils n’ont pas. C’est la Cour, puissance 10, chaque cabinet s’efforçant de défendre son pré carré contre ses petits camarades, au détriment d’une réelle action politique. Idem du côté du monde universitaire, où l’on préfère, en France privilégier les candidats issus du sérail, plutôt que faire appel à du sang neuf: l’endogamie est de mise.

Maurice Bernard ne s’arrête pas là, et lance un second signal d’alerte: notre système éducatif est en train de s’effondrement. Jadis performant, il s’effondre peu à peu, aucun ministre n’ayant le courage de mener les réformes qui permettraient de revaloriser le statut des enseignants, d’instaurer la part de sélection nécessaire. Depuis deux ou trois décennies, le niveau général baisse, et conduit à des situations d’échec post-bac, après avoir laissé croire à des jeunes qu’ils étaient faits pour mener des études supérieures, là où une formation technique aurait dû s’imposer. Nos savoir-faire techniques disparaissent, nos jeunes alimentent la machine à chômeurs. Et nos élites refusent de prendre le problème à bras le corps.

Voici un livre bien pessimiste, à vrai dire. Dont la lecture devrait mener les personnalités politiques impliquées actuellement dans la course présidentielle, à réfléchir un peu plus sur la trace qu’ils pourraient laisser dans l’histoire, au lieu de se préoccuper de se faire réélire et de nommer leurs petits copains. L’élite française sortira-t-elle un jour de sa bulle? Personnellement, j’en doute…

L’entre-soi des élites, Maurice Bernard, Riveneuve éditions, 118 pages, 10€

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