Wikipediahu Akbar

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J’ai un respect profond Wikipedia. Cette encyclopédie mondiale, initiée en 2001 par Larry Sanger et Jimmy Wales correspond à une approche du partage du savoir à laquelle j’adhère totalement. Son indépendance, son financement participatif, son mode de mise à jour (avec ses avantages et ses inconvénients), et la diversité des contenus qu’on y trouve Sans être totalement aveugle sur les dérives et les risques que présente un tel projet.

Neutralité, j’écrirai ton nom

L’un des grands écueils de Wikipedia, c’est de sa relation avec la politique. Rien n’est plus difficile que de s’abstenir de prendre parti pour les uns ou les autres, surtout quand on se doit d’héberger des contenus à caractère politique, comme les bios de toute personnalité ayant un rôle politique dans son pays, et que cette bio peut exister dans différentes langues. La neutralité de point de vue de Wikipedia fait partie des 5 principes fondateurs de l’encyclopédie, auxquels on demande à tout contributeur de se tenir. Et je sais, pour avoir contribué à quelques centaines d’articles, dont certains sur des sujets qui me sont chers, comme Israel, le judaïsme ou Dassault Systèmes, combien d’efforts cela exige.

C’est donc avec beaucoup de peine que j’ai pu constater hier, grâce à la vigilance de quelques amis, que cette approche basée sur la neutralité, était en train de subir un affront dangereux.

Wikipedia ou tour de Babel oued ?

Comme tout le monde ou presque le sait, Wikipedia est accessible dans plusieurs dizaines de langues. L’approche multilingue de l’encyclopédie est particulière : les articles ne sont pas traduits d’un univers à l’autre, mais il est de la responsabilité des contributeurs qui parlent telle ou telle langue de rédiger des articles correspondant à des sujets variés. Lorsqu’un article existe dans plusieurs langues, un mécanisme de liens permet de passer d’une langue à l’autre, mais tous les articles n’existent pas dans toutes les langues, et quand on consulte le même article dans plusieurs langues, on constate souvent des différences majeures. Faites le test avec les versions françaises et anglaises des articles consacrés aux séries télé les plus récentes, vous trouverez souvent plus de matière en anglais qu’en français (sauf pour les séries françaises). Il n’y a rien à reprocher à cette manière de faire : les contributeurs le font sur la base du volontariat, et donc du temps disponible pour oeuvrer.

Il existe donc une version de Wikipedia en anglais, en français, en allemand, etc. Il en existe même en latin, en yiddish, en tagalog… et bien sûr en arabe, cela va de soi. Et cette version est tenue de respecter la même neutralité que les autres versions.

Le hack de trop

Oui mais voilà. Depuis quelques jours, deux changements ont été opérés sur la version arabe de Wikipedia. La première, c’est un changement de logo. Le logo de Wikipedia est le même dans toutes les langues, vous le connaissez sûrement. Il s’agit d’une planète dont l’écorce est un puzzle couvert de lettres issues de plusieurs alphabets, un très bel hommage à la diversité culturelle sous-jacente à Wikipedia. Et bien regardez donc comment apparaît le logo Wkikipedia sur sa version en arabe.

Vous constaterez un changement significatif de la palette de couleurs utilisées. Je ne sais pas comment cela a été réalisé, car quand on cherche à télécharger le fichier logo, on tombe bien sur le logo originel – c’est donc une sorte de maquillage superposé – et j’apprécie la prouesse technique de ce qui aurait pu n’être qu’un canular. En revanche, je goûte très peu cette manière de s’approprier culturellement une version de Wikipedia. Pourquoi pas une version en jaune et rouge pour le Wikipedia en espagnol (que penseraient les utilisateurs vivant dans des pays sud-américains ?), en bleu et blanc pour la version en hébreu, ou toute rouge pour la version en chinois ?

Ce changement d’apparence du logo en dit déjà long sur un usage politique, et donc détaché de toute neutralité, de cette version de Wikipedia. Mais ce n’est pas tout. Juste en-dessous, la version en arabe affiche un bandeau que l’on retrouve sur toutes les pages du site en arabe. Je vous laisse prendre connaissance de la teneur du message, qu’on peut très bien obtenir en utilisant le traducteur automatique de Chrome…

Là, on n’est absolument plus dans le terrain de jeu de Wikipedia, mais dans la propagande pure et dure véhiculée par les différents mouvements pro-palestiniens.

From the river to the sea, Wikipedia must be free

Je ne suis pas dupe. Le monde arabe, dans sa vaste majorité, a pris parti depuis des décennies pour le peuple palestinien. Je ne rentrerai pas dans le débat sans fin autour de cette notion de peuple, qui n’a pris forme qu’à partir de 1967, une fois qu’Israel a pris possession de territoires autrefois occupés par la Jordanie et l’Egypte sans qu’il soit fait mention de droits spécifiques des uns ou des autres.

Soyons clairs sur ce point : chacune est libre d’avoir son point de vue sur le sujet de ce conflit, mes lecteurs connaissent le mien, je ne le cache pas. Mais si à titre personnel je suis partisan, comme beaucoup de juifs dans le monde, d’une paix juste et durable, je m’oppose formellement aux dérives linguistiques entreprises depuis quelques mois, qui qualifient la démocratie en Israel d’apartheid et le conflit à Gaza de génocide. Défendre ces deux qualificatifs est un affront à l’intelligence, et correspond, ni plus ni moins, à puiser ses arguments à la source d’un des pires mouvements propagandistes qui ont vu le jour ces dernières années, le Hamas.

Mais je m’interroge sur cette capacité à entretenir, ad vitam aeternam, un peuple de réfugiés, aux statuts différents des autres réfugiés de par le monde. Je m’interroge sur cette solidarité mondialisée, pour des individus qui, une fois le processus de paix engagé il y a trente ans, n’ont eu de cesse de le saboter à coup d’attentats – j’étais fréquemment en Israel de 2001 à 2004, je me souviens encore du stress ressenti au quotidien. Je m’interroge sur ces slogans du style From the river to the sea, Palestine will be free. Je m’interroge, comme beaucoup d’autres s’interrogent.

Et je constate avec effroi l’efficacité du soft power palestinien. On l’a vu dans les universités américaines, on le voit actuellement à la Haye, avec la nauséabonde initiative de la diplomatie sud-africaine, qui prétend jouer la carte de la dignité internationale pour mieux masquer l’état de décrépitude qui règne dans son pays.

Et je le constate, avec tristesse, sur un concept que je croyais sacré : Wikipedia.

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