Coquine Chloroquine…

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Depuis le début de la crise du Covid-19, un débat agite le landerneau : pour ou contre la Chloroquine ? Heureusement qu’il n’y a plus de réunions ni de déjeuner de famille depuis qu’on en parle, cela finirait à tous les coups par des engueulades entre supporters et opposants à ce remède.

Il faut dire que le supporter en chef, le spécialiste des infections Didier Raoult, ne mâche pas ses mots. Ses différentes interventions ont la force de générer du rêve chez certains, et un rejet total chez d’autres. Sarkozy aurait dit de lui qu’il est clivant. C’est peu dire. Le remède qu’il suggère, lui, l’est encore plus.

Le protocole dont il a fait la promotion indirecte, en effet, a pu laisser croire certains qu’on avait trouvé le remède miracle contre SARS-CoV-2. Finis les masques et le confinement, haro sur la chloroquine ! Hélas, il faut bien le constater, cela ne marche pas à tous les coups, et certains l’ont payé de leur vie. Mais alors que doit on en penser ?

L’occasion de aire un peu de chimie ?

Imaginer qu’un traitement imparable surgirait en quelques jours relève en fait plus du rêve que de la réalité. Ce n’est pas pour rien que les règles de mise d’un médicaments sur le marché requièrent des délais de plusieurs années : un médicament, cela se teste et se re-teste, on vérifie les effets de bord, on s’assure que personne n’en pâtira à plus long terme. Mais on l’occurrence, il ne s’agit pas de mettre un médicament sur le marché, mais de trouver un traitement qui permette de réduire les risques mortels liés à l’amplification de la maladie.

Relax, don’t do it !

D’ailleurs, le professeur Raoult le dit bien. Ce n’est pas la choloroquine administrée seule qui convient, mais un traitement basé sur l’administration d’hydroxychloroquine et d’un certain type d’antibiotique, à certains stades du développement.

Un lecteur de mon blog et camarade de longue date, Ehsan Emami, m’a transmis un texte rédigé par Raphael Douady, que je me permets de reproduire ci-après (voici également la version PDF). Je vous invite à la lire et à comprendre ce qui est en jeu.

Pourquoi il faut autoriser immédiatement le traitement du Dr Raoult en médecine de ville (ou tout autre traitement qui a une chance de fonctionner)

Par Raphael Douady, Chercheur au CNRS, Centre d’Economie de la Sorbonne, Mathématicien, statisticien, spécialiste des risques extrêmes, co-fondateur du Real World Risk Institute

Le premier argument en faveur d’un traitement immédiat et systématique des patients présentant un risque de développer une forme sévère de détresse respiratoire aiguë, sans attendre que ce soit le cas, est un argument d’asymétrie. D’un côté, une situation potentiellement explosive (et en fait qui a déjà explosé) : des personnes infectées, dont il a été démontré qu’un grand nombre sont asymptomatiques, ou ayant des symptômes mineurs, en contaminent d’autres, de sorte qu’à partir d’un petit nombre de personnes atteintes par le virus, un très grand nombre peuvent être contaminées. De l’autre côté, même en admettant un risque mal estimé d’accidents du traitement, pas de risque de contamination : on n’a pas vu une personne faisant un accident de traitement à la chloroquine faire que son voisin fasse aussi un accident similaire. En statistiques, ces situations ont un nom : d’un côté, une incertitude incontrôlée, à « queues de distribution épaisses », c’est-à-dire que l’incertitude, à partir d’un nombre de cas observés qui se compte en centaines, peut en fait potentiellement se compter en millions.

De l’autre côté, une incertitude contrôlée, « à queues de distribution fine », c’est-à-dire que si le risque d’accident de traitement est, disons, 1% des personnes traitées (ce chiffre est probablement très exagéré, étant donné la connaissance pratique que l’on a de ce traitement), son incertitude le portera peut-être à 2%, mais pas à 10% et encore moins à une proportion plus élevée des personnes traitées. Dans ce type de situation asymétrique, avec un côté dont le risque ne peut, mécaniquement, se multiplier à l’infini et, de l’autre, un risque qui est hors de contrôle, le principe de précaution(*) place la charge de la preuve du côté qui porte le risque incontrôlé. En d’autres termes, le principe de base de l’éthique de la prise de décision scientifique en situation d’incertitude asymétrique dit que ce n’est pas au professeur Raoult de démontrer l’efficacité de son traitement, dès lors que certaines indications convergentes laissent penser qu’il fonctionne, mais au contraire, à ceux qui le refusent de démontrer qu’il présente plus de dangers que l’absence de traitement. Pour être plus précis, et répondre aux apprentis sorciers qui s’érigent en philosophes de l’éthique scientifique, on commence par traiter, puis si, vraiment de gros problèmes apparaissent, on fait marche arrière. Le risque porté par cette approche est infiniment moins grand que le risque de l’approche inverse. Cet argument s’applique à tout autre traitement suggéré par des professionnels à la compétence reconnue qui ont, non pas « démontré », mais simplement indiqué leur efficacité, sur la base de résultats partiels et encourageants.

Le second argument, souvent mis en avant par le professeur Raoult, est la valeur des observations in vitro. La statistique est une science pleine… d’incertitude ! Elle ne fournira jamais de preuve formelle, au sens mathématique, ce n’est pas son objet. Elle ne peut fournir que des indications, du type « telle hypothèse n’est pas impossible, mais très improbable ». C’est ainsi que l’on peut faire des sondages d’opinion donnant des tendances, sans jamais être certain des conclusions. Il existe toujours une probabilité infime que l’échantillon sélectionné soit particulièrement biaisé, juste par malchance. L’étude d’un système complexe, que ce soit en médecine, en physique, en chimie ou en ingénierie, demande toujours, en plus des études statistiques, une compréhension des mécanismes à l’œuvre. Cette étude du fonctionnement du système n’est pas un simple complément à la statistique, c’est la partie essentielle du travail. C’est au contraire l’étude statistique qui vient la conforter. Le fait d’avoir observé sur quelques cas la disparition de la charge virale et d’avoir une explication pour cela, surtout en utilisant un médicament connu, suffit largement comme indication que le traitement « fait sens » pour renverser la charge de la preuve.

L’avantage des « groupes témoins » et autres « tests en double aveugle » est de minimiser les biais de l’expérimentateur, ce qui donne une apparence de rigueur scientifique. C’est en effet, quand on peut le faire, une approche possible pour résoudre la question du biais d’estimation. Mais c’est loin d’être la seule. La quasi-totalité des questions d’estimation se heurtent aux problèmes des biais. Ne pas chercher à les corriger serait une grave erreur de méthodologie. En général, on cherche non pas à minimiser le biais au niveau de l’expérience, mais à l’estimer. Cela ne se fait pas au doigt mouillé, comme beaucoup le croient. La méthode la plus courante est l’utilisation de variables « dummy » (« variables bêtes »), c’est-à-dire inclure le biais dans l’ensemble des variables à estimer. Pour cette raison, on obtient des résultats bien plus précis avec un grand nombre d’observations biaisées qu’avec un petit nombre d’observations censément non biaisées. La mise en place d’expériences avec « groupes témoins » n’est absolument pas une nécessité et ce n’est certainement pas l’approche à privilégier dans une situation d’urgence comme celle que nous vivons.

Notons, dans le cas présent, que l’interdiction faite aux médecins de ville de prescrire des médicaments qui ont été largement utilisés, sans ordonnance pendant des années, laisse perplexe. Nous parlons ici de la combinaison de l’hydroxychloroquine, consommée par des centaines de millions de personnes ayant voyagé dans les pays où la malaria est présente, et d’un antibiotique des plus classique, l’azithromycine, avec un complément de sels de zinc, un complément alimentaire qui se trouve en parapharmacie. Cette interdiction ne repose absolument sur aucune base rationnelle. L’argument mis en avant est la peur de l’automédication. L’automédication est un problème bien connu, qui n’est pas propre à ce médicament. On limite ce phénomène par la nécessité d’une ordonnance, qui peut être faite par un généraliste, et par un rappel aux pharmaciens de respecter strictement les normes de délivrance de ce produit. Une surdose d’aspirine présente des dangers bien plus grands qu’une surdose d’hydroxychloroquine…

Par ailleurs, dans un contexte où les hôpitaux sont engorgés par l’afflux de malades et, surtout, deviennent eux-mêmes un lieu de contamination majeur, la nécessité de séparer les malades possède une solution assez simple : les soigner chez eux. Ceci ne peut être accompli que par le médecin traitant de chaque famille. La personne s’isole. Il y a un risque d’accident, certes, mais celui-ci est contrôlé et les malades traités peuvent être identifiés et bénéficier d’un numéro d’alerte en cas de problème. Il est à noter que le risque d’accident nécessitant une prise en charge en urgence est présent des deux côtés. Si l’accident cardiaque possible a été mis en avant en cas de surdose de chloroquine, plusieurs cas ont été observés de personnes présentant des symptômes mineurs qui ont brutalement dégénérés en quelques minutes (au dire des médecins « plus rapidement qu’une crise cardiaque ») avec, malheureusement, souvent une issue fatale si une ventilation n’a pas pu immédiatement être mise en place.

Soulignons enfin que le paramètre à observer de près, dans toute épidémie, est le nombre moyen de personnes nouvellement contaminées par une personne atteinte. Ce nombre dépend de plusieurs paramètres : la méthode et le taux de contamination, les défenses immunitaires de la population, qu’elles soient naturelles ou provoquées par la vaccination, et surtout, la durée de contagiosité des personnes atteintes. Si ce taux est supérieur à un, on est dans une situation explosive où le nombre de personnes contaminées croît exponentiellement, hors de tout contrôle. Si, en revanche, on peut le ramener en- dessous de un, le nombre de personnes contaminées se réduit progressivement. Tout traitement permettant de réduire la durée de la période de contagiosité a non seulement une chance de soigner des gens, mais en plus, permet de considérablement réduire le nombre de personnes atteintes, que ce soit en diminuant le taux de croissance exponentielle, ou même en le faisant passer en-dessous de la barre fatidique de l’unité. Cette observation milite en faveur d’une prise en charge le plus tôt possible des personnes testées positives, même si les symptômes sont peu ou pas visibles. Elle milite aussi en faveur d’un test systématique des personnes suspectes, que ce soit par des signes mineurs ou par le fait d’avoir côtoyé une personne contaminée. Enfin, elle milite en faveur d’un port systématique du masque par toute la population, comme cela est fait dans les pays asiatiques, avec des résultats remarquables. C’est à ce prix que l’on pourra sortir en sécurité du confinement et remettre en route une économie à l’arrêt.

Les mesures à prendre d’urgence sont :

  • Autorisation du traitement du professeur Raoult, ainsi que de tout autre traitement ayant montré des résultats encourageants, sans attendre que des tests complets les confirment. C’est seulement en cas de problèmes majeurs observés qu’il faudra les interdire, et non l’inverse.
  • Production massive de masques de protection pour toute la population. Mise à contribution de toutes les ressources industrielles pouvant contribuer à cet effort. Ceci en plus de la production d’équipements adaptés pour les personnels soignants.
  • Production massive d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, à ce jours les seuls médicaments efficaces connus dont la production massive est envisageable.
  • Test systématique de toute personne suspecte, même devant des symptômes légers ou un côtoiement de personnes infectées. Mise en place de la production de ces tests. Mise à contribution de toutes les ressources disponibles, y compris les laboratoires vétérinaires. Les débats sur les habilitations n’ont pas lieu d’être car le risque d’erreur a des conséquences bien moins graves que le fait de se priver de cette ressource.

(Les opinions émises dans cette tribune n’engagent que l’auteur. Elles ne représentent pas forcément ni celles du CNRS, ni celles du Centre d’Economie de la Sorbonne ou de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.)

(*) N.N. Taleb & al. (2014) The Precautionary Principle, arXiv:1410.5787 [q-fin.GN]

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