Orchestrer la rumeur

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Orchestrer la rumeur. Rival, concurrent, ennemi... comment s'en débarrasser.Voici un livre à ne pas mettre en toutes les mains. Orchestrer la rumeur, dont le sous-titre est éloquent: rival, concurrent, ennemi… comment s’en débarrasser! Diantre, voici un programme qui promet, et je dois avouer qu’en voyant passer le communiqué de presse qui annonçait sa sortie il y a deux mois, je me suis précipité pour le lire et découvrir comment utiliser au mieux ragôts et colportage… Et je n’ai pas été déçu.

Son auteur, Laurent Gaildraud, se présente comme l’organisateur du trophée Sun-Tzu,une compétition où il s’agit de préparer une belle rumeur visant, par exemple, une entreprise ou un produit. Le sujet 2010 était, à ce titre, visionnaire: lancer une rumeur sur PALM pour aider NOKIA à en prendre le contrôle sans que le cours de l’action PALM ne grimpe de trop…


Mais revenons à l’ouvrage en lui-même. Commençons par lister ce que vous n’y trouverez pas: ce livre ne traite pas de la manière de contrer une rumeur, et n’est pas non plus une analyse du modèle de diffusion des rumeurs. Inutile donc de l’acquérir si vous êtes la proie d’une rumeur … à moins que vous n’envisagiez de contre-attaquer. Car là, il garderait toute son utilité.

Ce livre se divise, grosso modo, en trois parties.

La première, est dédiée à la notion de rumeur elle-même. Qu’est ce qu’une rumeur? Un bruit, une prétention de vérité, rappelle l’auteur, qui fait dès le départ le parallèle avec un mythe, mais distingue également la rumeur de la fausse information: un tiers des rumeurs, nous dit-il, sont vraies. Une rumeur n’est pas « vraie » ou « fausse », mais elle doit s’appuyer sur des éléments « crédibles » pour prendre. Il poursuit son exposé par une typologie des rumeurs, selon les domaines d’application: politique, financière, sanitaire, people, juridique ou rumeur de guerre, rappelant que ce cloisonnement n’est pas étanche, et qu’une rumeur sur le 11 septembre, par exemple, peut couvrir plusieurs domaines (finance, guerre, religions, etc.). L’auteur finit cette première partie par un exposé des techniques permettant de déceler une rumeur. L’emploi du conditionnel, la désignation d’une victime, et l’existence de plusieurs niveaux d’interprétation: un niveau explicite qui fait appel aux émotions, un niveau implicite qui exprime le coupable, un niveau inconscient qui parle à nos peurs les plus anciennes.

La seconde partie traite des mécanismes liés au lancement d’une rumeur. L’auteur y explique qu’une rumeur prend d’abord et avant tout sur un groupe cible, que l’on se doit d’identifier au préalable. Pour améliorer le rendement, il propose, en expliquant pourquoi cela est nécessaire, d’activer le groupe cible, en le mettant sous pression: l’anxiété favorise, en effet, les rapprochements entre individus, et la diffusion des rumeurs. Cette diffusion ne se fait cependant pas de manière homogène: on diffuse plutôt entre « pairs » ou vers le haut, rarement vers le bas de la hiérarchie. Bien entendu, la rumeur se doit de respecter quelques principes de base: être négative, s’appuyer sur de l’histoire ancienne tout en s’ancrant dans la réalité, contenir ce qu’il faut de bons sentiments mêlés à des propos anxiogènes/

La troisième partie est dédiée à l’art de propager une rumeur, en entreprise ou en société. On ne doit pas se précipiter, et il est impératif de respecter un certain timing. Mieux vaut attendre les périodes propices à une anxiété maximale, comme la période actuelle pré-électorale, ou les phases de réorganisation en entreprise… Le choix de la source est tout aussi primordial: le locuteur initial se doit d’être crédible, attractif, susceptible d’un excellent partage social. L’auteur fournit à ce titre quelques détails croustillants: les aînés sont à privilégier, ainsi que les profils « grandes écoles », qui diffusent bien entre eux sans trop remettre en question les dires de leurs pairs. En fait, la seule est véritable menace pour une rumeur, c’est de tomber sur des individus quelques peu censés, capables de remettre en question ce qu’on veut leur faire croire: les déviants, résistants et autres, sont à proscrire… quoique lorsqu’ils se retrouvent entre eux, même en minorité, ils deviennent un formidable terreau pour des rumeurs internes.

Enfin, l’auteur finit son livre sur deux conseils qu’il faut impérativement respecter: d’abord, éviter de lacer une rumeur auprès de son entourage direct, l’effet en serait limité, voire négatif. Ensuite, éviter de lancer une rumeur auprès des leaders d’opinion, et privilégier plutôt les liens faibles, les connaissances disparates, tous ces « amis » et « contacts » dont nos réseaux sociaux raffolent. A ce titre, le livre comporte un passage fort intéressant sur l’utilisation des réseaux sociaux professionnels ou non comme vecteur de diffusion des rumeurs. A lire et relire, avant de se remettre à Twitter…

Orchestrer la rumeur est donc un excellent ouvrage, qui vous changera de la lecture habituelle sur les réseaux sociaux. Le livre est parsemé de résultats d’expériences en psychosociologie, et de remarques humoristiques sur des rumeurs auxquelles vous avez surement déjà fait face.

Deux petites notes pour finir. J’ai trouvé malheureusement la conclusion très hermétique, réservée à un public d’initiés, à l’inverse du reste de l’ouvrage. Et j’ai particulièrement apprécié la citation de la préface, tirée du Talmud: « Le monde ne se maintient que par le souffle des enfants qui étudient« . Tellement vrai par les temps qui courent…

PS: en écrivant ce billet, je suis tombé sur cet article sur Facebook, qui me semble parfaitement illustrer les propos de l’auteur…

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