La pipolisation de la Shoah

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Vouloir la rupture à tout prix, c’est s’exposer au ridicule assez rapidement. Nicolas Sarkozy vient d’en donner l’exemple, avec sa dernière proposition, formulée lors du dinner annuel du CRIF.

"J’ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français victimes de la ShoahLes enfants de CM2 devront connaître le nom et l’existence d’un enfant mort dans la Shoah. Rien n’est plus intime que le nom et le prénom d’une personne. Rien n’est plus émouvant pour un enfant que l’histoire d’un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui", rapporte l’AFP.

La lecture de la lettre de Guy Mocquet, proposée dès les premiers jours du quinquennat, avait déjà soulevé quelques doutes sur l’efficacité des méthodes présidentielles. Mais là, en quelques mots, le président de la République a réussi à mettre à mal des années d’efforts autour de l’enseignement de la Shoah.

Vouloir expliquer aux jeunes générations ce que fut l’un des méfaits les plus abominables du 20e siècle relève d’un bon sentiment. Mais la mise en oeuvre requiert largement plus de doigté que l’imposition d’un tel mode opératoire. Et quoi, enseignera-t-on alors le génocide arménien de la même sorte, chaque enfant devenant "sponsor" d’une jeune victime? Et le Rwanda? Et le Cambodge? Cela paraît grotesque.

Sans parler de l’âge auquel doit s’effectuer cet enseignement. A cet âge, le travail de mémoire doit prendre des formes plus subtiles. On ne donne pas à lire un témoignage sans un minimum de préparation, de sensibilisation. Même au sein des familles juives, on n’aborde pas ce sujet de la même manière que la construction d’un chateau-fort ou le traité de Verdun!

On ne peut s’empêcher, dans ce cadre là, de comparer l’action de Jacques Chirac et celle de Nicolas Sarkozy. Par la reconnaissance de la responsabilité de l’état français dans les actes du gouvernement de Vichy, l’ancien président avait franchi une étape significative dans l’éducation globale de nos compatriotes. Par sa proposition formulée il y a quelques jours, l’actuel président ne se montre pas à la hauteur de son prédécesseur. Pire, il introduit une sorte de "pipolisation" de la Shoah. On s’attendait à mieux. A croire que, décidément, les conseillers du président ne font pas bien leur boulot dans ce domaine…

Quelques billets intéressants sur le même sujet: Lyonel Kaufmann et Hugo Billard traitent de l’enseignement de la Shoah par l’émotion.

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