Conflans, Charlie et les réseaux sociaux

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Petite commune d’un peu plus de 35 000 habitants située au nord des Yvelines, Conflans-Sainte-Honorine ne jouissait pas, jusqu’à il y a peu, d’une notoriété internationale. À peine les plus âgés d’entre nous se souvenaient-ils que Michel Rocard en fut maire pendant près de vingt ans, avant de laisser sa place à Jean-Paul Huchon. Les plus curieux, avides de Wikipedia, auront peut-être découvert qu’elle est la capitale française de la batellerie, sa situation entre Seine et Oise y étant pour beaucoup. Conflans-Sainte-Honorine fait, hélas, l’actualité depuis plus de deux jours.

Rappel des faits

La raison en est un fait divers atroce, un attentat commis contre un enseignant, professeur d’histoire. Ce dernier voulait, dans le cadre de son cours sur les religions, sensibiliser ses élèves à la liberté d’expression, et notamment en montrant certaines des caricatures diffusées par Charlie Hebdo. Conscient de la difficulté d’aborder un tel sujet dans une classe où certains élèves pourraient être heurtés par de telles images, le professeur en question pensait avoir pris toutes les précautions et avoir fait preuve de pédagogie. C’était compter sans la puissance néfaste des réseaux sociaux.

Une élève, particulièrement remontée contre cette démarche, aurait monté le sujet en épingle. Sa famille a joué un effet d’amplificateur, les réseaux sociaux ont joué leur rôle de caisse de résonance, si recherché dans certaines occasions, mais si dangereuses dans d’autres. Le meurtrier, un jeune tchétchène de 19 ans, n’avait plus qu’à remonter la piste, s’informer sur l’adresse de l’enseignant, paradoxalement accessible, et aller commettre l’irréparable.

Que doit-on en conclure ?

Que conclure d’une telle atrocité ? Tout d’abord, rappeler qu’enseigner est devenu, dans certaines villes, un métier extrêmement dangereux. Des livres sont parus sur ce sujet, des documentaires et des films ont été tournés, touts montrent la difficulté qu’il y a à tenir des classes dans des quartiers dits sensibles. Était-ce le cas à Conflans ? Les articles que j’ai pu lire sur ce sujet ne semblent pas, à première vue, faire du collège du Bois d’Aulne un collège particulièrement difficile.

Ensuite, évoquer le rôle de plus en plus sordide de certains groupes sur les réseaux sociaux, dont la seule raison d’être et de dénoncer, critiquer, injurier celles et ceux qui sont l’objet de l’opprobre des membres de ces groupes. J’ai souvent l’occasion de rappeler à ceux qui veulent créer des « communautés » sur les réseaux sociaux que les communautés qui marchent le mieux sont des communautés « contre quelque chose ». C’est triste et pathétique à la fois, mais c’est un fait : à force de s’en écarter, les gens de bien ont laissé le web social devenir le terrain de jeu de toutes les formes de critiques, des plus drôles aux plus virulentes.

Ensuite, rappeler qu’il est délicat de lutter contre ce type d’agression terroriste, difficile à déceler. Car il ne s’agit pas d’attentats particulièrement bien préparés, pour faire un maximum ed victimes, comme ce fut le cas au Bataclan, mais d’actes isolés, décidés et mis en oeuvre par un individu seul, ou ‘appuyant sur quelques contacts pour mener à bien ses méfaits. Derrière de tels actes, il ne faut pas chercher Daesh ou AQMI, mais des années d’endoctrinement, qui laissent croire à leurs auteurs qu’ils agissent pour une cause suprême. La radicalisation prend forme, parfois, bien des années avant le passage à l’acte.

Ne pas faire de Charlie Hebdo une idole

Enfin, et cela n’excuse aucunement le meurtre du jeune professeur, je m’interroge, à titre personnel, sur l’intérêt de diffuser les caricatures de Charlie dans le cadre d’un enseignement de classe de 4e. Charlie Hebdo est un journal satirique, on peut l’apprécier ou ne pas l’apprécier, c’est un choix personnel. Mais il faut rappeler que son contenu ne s’adresse pas, à mon sens, à des adolescents de 13 ou 14 ans. Les dessinateurs de Charlie Hebdo n’ont qu’un objectif en tête : la gaudriole. Cela ne peut s’apprécier que par un public averti et extrêmement ouvert. Imaginer que cela passe avec tout type de lecteur relève de la plus grande naïveté . En 2012, déjà, face aux critiques liées à la première salve de caricatures, et au premier attentat contre ses locaux, le journal s’était lui-même un jour qualifié de « journal irresponsable » : sans entendant ainsi qu’il laisse à ses lecteurs le soin de prendre leurs responsabilités dans leur manière d’apprécier les contenus.

Soutenir Charlie et sa liberté d’expression, ce n’est pas forcément mettre des caricatures partout où on ne les attend pas. Il y a mille et une façons de parler de liberté d’expression à des collégiens, et si tant est qu’il faille en passer par Charlie, il y avait un large éventail de dessins à disposition pour illustrer le sujet. Pourquoi avoir choisi ce dessin que je trouve passablement vulgaire ? C’est là aussi une interrogation. À ériger Charlie et ses caricatures en dogme, on finit par oublier que certains dessins sont franchement mauvais, et on oublie que le pendant de la liberté d’expression, c’est la qualité du jugement. Samuel Paty a malheureusement fait les frais d’un tel aveuglement.

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