Nous sommes Charlie

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Ce soir, nous sommes tous Charlie Hebdo. Vous, moi, lui, elle, nous sommes Charlie. L’attentat sauvage de ce matin, qui a décimé la direction du journal, et plongé dans une sombre torpeur une bonne partie de la France qui pense, c’est un peu notre 11 septembre à nous français. Avec un peu plus de 40 000 exemplaires par semaine, on ne peut pas dire en effet que Charlie Hebdo soit le journal préféré de mes compatriotes. Oui, mais c’est un symbole national, un titre que certains d’entre nous ont, volontairement ou à contre coeur d’ailleurs, tenu une fois dans ses mains, en rigolant amèrement sur une blague salace ou une caricature qui les concernait, de près ou de loin.

Nous sommes Charlie
En envoyant au tapis des dessinateurs comme Cabu, Charb, Wolinski – un représentant de la communauté juive tunisienne malgré son patronyme -, Tignous et le journaliste économique Bernard Maris que j’écoutais, parfois avec agacement c’est vrai, le matin sur France-Inter, les terroristes ont non seulement décimé l’hebdo, mais aussi touché par ricochet nombre d’autres publications. Adieu la chronique sur France-Inter, adieu la série des nouveaux beaufs sur laquelle je me précipitais tous les vendredi, après avoir acheté le Canard enchaîné.

C’est un peu notre 11 septembre à nous, disais-je. Mêmes réflexes d’anéantissement à compulser les sites d’information en ligne, qui rament – heureusement, Twitter et Facebook fonctionnent. Twitter, sur le quel le hashtag #CharlieHebdo caracole en tête de toutes les trending lists de la planète. Mais cela va bien plus que loin que notre relation à l’info en continu, bien sûr.

Assassiner une poignée de célébrités, c’est toucher au quotidien de millions d’entre nous, ça cause, ça émeut, ça émeut même plus, oserais-je dire avec tristesse, que les odieuses exécutions de Montauban, ou de l’école juive à Toulouse, où de jeunes enfants et de jeunes adultes ont été froidement abattus par un Mohamed Merah qui se serait sans doute bien entendu avec les assassins de ce matin. Souvenez-vous, c’était il y a à peine trois ans. Oui trois ans, ce n’est pas si long. Les rues sont pleines ce soir, elles ne l’étaient pas tant il y a trois ans: pourtant, c’est en se taisant face à des Montauban et des Mohamed Merah qu’on laisse un jour exploser la haine en plein coeur de Paris. C’est le même professionnalisme d’allumés, capables de tenir en joue un groupe d’intervention du GIGN depuis sa salle de main ou de mettre en joue la voiture de police qui s’approche, et de froidement descendre ses occupants, d’une balle dans la tête.

Au-delà de la peine, il faudrait que mes compatriotes comprennent que le terrorisme est une plaie. Comme une plaie, cela se soigne, d’abord en prononçant les mots qui fâchent. Pas ceux à l’intention de la communauté musulmane, non, détrompez-vous: les musulmans de France sont victimes tout autant que nous – dois-je rappeler le profil des soldats assassinés à Montauban? Sans parler du discours haineux qui mélangent la foi des individus et des actes dont la barbarie ne relève d’aucune foi. Non, les mots qui fâchent, c’est appeler un acte terroriste par son nom, et non en évoquant « l’acte isolé d’un déséquilibré« , comme ce fut le cas avant Noel. Les fous qui lancent leur véhicule sur un marché ou sur un trottoir sont des terroristes, et rien d’autre.

Nous ne vivons hélas plus dans un monde paisible, si tant est que le monde puisse l’être. Terre d’accueil, la France a pris des positions courageuses sur certains conflits. Des états terroristes comme Daesh ne peuvent l’admettre, et son leader a déjà appelé ses sbires à sévir. La menace terroriste est réelle et patente depuis de nombreuses semaines, déjà. Alors pourquoi ne pas le reconnaître, et ne pas pousser les citoyens français à être un peu plus en alerte? La France a du mal à évoquer le terrorisme qui la touche. Rétrospectivement, ses dirigeants y parviennent, oui, en évoquant ce qui s’est passé il y a vingt ou trente ans. Mais sur le moment, ils préfèrent jouer sur les mots. Pas cette fois, semble-t-il. Le choc profond, qui a provoqué des multitudes de rassemblement dans la soirée, témoigne d’une prise de conscience de la société française. Jusqu’ou durera-t-elle?

Et puis, on parle beaucoup des journalistes, morts pour avoir osé défier l’obscurantisme, mais il faut aussi avoir une pensée pour les forces de police. Deux policiers sont morts, dans d’épouvantables conditions – attention, celle-ci, diffusée par CNN et d’autres média, est choquante. La tension baissera d’un cran demain pour nous, citoyens lambda. Mais pas pour eux, dont le métier n’est pas de filer des contredanses, mais bien de défendre leurs concitoyens, vous et moi. Vous en croisez surement dans la rue, dans les zones fréquentées, ou si vous vous rendez dans des synagogues. Et oui, vous l’oubliez peut-être, mais en France, depuis quelques années, on ne peut plus pratiquer son judaïsme sans mesure de protection: un car de CRS posté nuit et jour face aux lieux les plus fréquentés. Les jours qui viennent seront des jours intenses pour eux, ne l’oubliez pas.

Alors oui, les barbares qui ont perpétré l’attentat de ce matin ont violé la liberté d’expression. Ce qu’ils visaient, ce n’était pas Charlie Hebdo, mais notre monde, qui permet à des Charlie Hebdo de naître et de se développer. Ne les laissons jamais nous abattre: ce soir, nous sommes tous Charlie.

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