Chroniques

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À l’automne 2016, à la surprise générale, le prix Nobel de littérature a été attribué à Bob Dylan. Que le jury veuille récompenser un poète, soit, mais il y a sûrement des poètes encore plus talentueux que ce chanteur, dont je ne connaissais que quelques titres. Et s’il s’agissait de décerner le prix à un auteur qui avait passer sa vie à décrire la société américaine, il y avait bien d’autres candidats que Dylan, à commencer par Philip Roth, d’un âge déjà avancé et qui méritait ce prix pour l’ensemble de son oeuvre.

Ce choix m’avait intrigué, à l’époque, et par curiosité, j’avais acheté un de ses ouvrages, décoré de la bande rouge dont sont affublés les livres écrits par un auteur récompensé. C’est ainsi que j’ai fait l’acquisition de ces Chroniques, un beau matin de décembre, chez le libraire qui se trouvait à l’angle de la route de la Reine et de la rue de Silly, aujourd’hui remplacé par une boulangerie. Mais la curiosité ne fait pas tout. Chroniques a fini par atterrir dans une de ces piles de livres qui végètent un certain temps, avant de disparaître dans une de mes bibliothèques, par la force de la loi du rangement aléatoire (il faudra que j’écrive dessus, un jour).

Quatre ans plus tard, autrement dit il y a une quinzaine de jours, je suis retombé sur Chroniques. Le premier weekend du second confinement démarrait, ce livre de poche d’un peu moins de 400 pages pourrait faire une excellente entrée en matière. Et je n’ai pas été déçu. Si la littérature de Bob Dylan n’atteint pas les merveilleux romans de Philip Roth, on peut néanmoins y puiser matière à réflexion pour de nombreuses années.

Bob Dylan y parle de sa vie, ou plutôt de moments clefs de sa vie. Il s’intéresse à quatre périodes qui, à mon humble avis, n’ont pas été choisies au hasard. La première se déroule à son arrivé à New-York. Dylan est un jeune chanteur de folksongs, inconnu, qui cherche le cachet de bar en bar, et squatte chez des amis. Il livre une description passionnante de l’univers qu’il fréquente alors. Dylan est un observateur affuté. Il à de l’ambition, non pas celle de devenir la star internationale qu’il est aujourd’hui devenu, mais au moins de gagner honnêtement sa vie. Il va donc progresser, au fil des rencontres et des amitiés qu’il noue, pour atterrir aux bons endroits, où il finira par se faire remarquer par John Hammond, le producteur qui a découvert de nombreuses stars du jazz et du rock.

Bod Dylan se produit dans des bars, des boîtes où des artistes viennent faire un ou deux passages. Il s’attache facilement aux responsables des meilleurs établissements. Le reste du temps, il lit ou écoute de la musique. Il se forge une culture riche et variée, de quoi alimenter sa réflexion de futur compositeur.

Chroniques ferme alors la page de ces premiers mois à New-York, et fait un bond une dizaine d’années plus tard. Woodstock est passé, une expérience extrêmement douloureuse. Bob Dylan est adulé par des milliers de fans, qui le suivent et hantent sa vie, son quotidien. Mais il n’en veut pas. Les medias veulent faire de lui une figure emblématique, qu’il ne revendique absolument pas. Il ne veut pas être enfermé dans une catégorie, être réduit à un symbole. Il ne souhaite qu’une chose : mener une vie normale, avec sa famille, sa femme et ses quatre enfants, et souffre que sa vie de star perturbe sa vie privée. Alors il a une idée géniale : il va brouiller les pistes. Quoi de mieux, à cette époque là, que de faire un voyage en Israel, revendiquer des racines juives (il se convertira au catholicisme quelques années plus tard), ou sortir un album dont il reconnaît, lui-même, qu’il est de piètre facture. Ces pages-là révèlent avec humour la difficile vie d’une vedette de la chanson. On ne peut s’empêcher de penser à d’autres auteurs-compositeurs, forcément passés par là.

Nouveau bond en avant de dix ans. Dylan frôle la quarantaine, et la crise qui va avec. On le sent dépressif. Il doute de lui, de sa musique, de son talent. Il a réussi à trouver un équilibre de vie, mais sent qui’l ne sera jamais plus le même, qu’il ne retrouvera plus la créativité passée. Il a besoin d’autre chose, mais de quoi ? Il ne le sait pas, il a besoin d’aide. Cette aide va venir d’un producteur que lui a présenté Bono, le leader de U2. Chroniques raconte avec force détails le long processus qui a conduit à l’élaboration de l’album Oh Mercy, avec l’aide de Daniel Lannois. Comme s’il s’était agi d’un accouchement difficile, on assiste à toutes les phases, aux hésitations, aux doutes, aux excès de colère aussi.

Nouveau bond dans le temps, mais plus de vingt ans en arrière cette fois. Bob Dylan clôt ces Chroniques en revenant sur sa jeunesse, la fin de son adolescence. Fils d’immigrés juifs russes arrivés au siècle précédent, installés dans le Midwest industriel, il a vécu une enfance tout ce qu’il y a de plus normale. Il apprécie la musique, le folk et la country, et va découvrir un auteur qui va profondément le marquer : Woody Guthrie. Ce chanteur et guitariste approche alors de la cinquantaine, mais ses disques sont une révélation pour le jeune Dylan, installé alors à Minneapolis (tiens, encore un kid de Minneapolis ?). Il décide de reprendre les titres de Guthrie et de les interpréter à sa manière. Et en arrivant à New-York, c’est à Guthrie qu’il ira rendre visite, alors que l’artiste est à l’hôpital, où les médecins tentent en vain de le soigner de la maladie qui l’accable.

Chroniques est un livre sur une sorte de processus initiatique. Comment devient-on chanteur ? Avec de la passion, du travail, nous dit Bob Dylan. Il n’est pas question de talent, dans ce livre, le chanteur ne le revendique pas. Il sait qu’il n’est pas un guitariste hors pair, et qu’il ne vaut pas mieux à l’harmonica. Mais il travaille de manière acharnée, est curieux, s’intéresse à tout.

Finalement, Chroniques est un livre sur le processus créatif. Comment invente-t-on des chansons ? Comment crée-t-on de la musique ? Comment écrit-on de nouveaux textes ? Bob Dylan donne la clef : « la créativité, qui se nourrit d’expérience, d’observation et d’imagination, se tait dès qu’il manque un des trois éléments« .

Un livre à lire, assurément, avant de se mettre à réaliser de grandes choses.

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