Vivre (plus) longtemps

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Quel est le facteur dont le développement a le plus bouleversé les sociétés modernes au 20è siècle? Est-ce l’automobile, l’avion, la maîtrise du nucléaire, l’informatique? Selon Caroline Weber, entendue récemment lors d’une de ses interventions auprès de chefs d’entreprise, ce n’est aucun des facteurs précédents: ce qui a le plus changé le mode de vie de nos contemporains… c’est l’allongement de la durée de la vie. À l’heure où certains parlent déjà de faire disparaître la mort, on n’a peut-être pas encore complètement compris les répercussions d’une espérance de vie passée en un siècle d’une quarantaine d’années au double…


Évolution de l’epérance de vie en France (source: https://www.assistancescolaire.com/enseignant/elementaire/ressources/base-documentaire-en-histoire/l-evolution-de-l-esperance-de-vie-des-francais-au-xxe-siecle-fde07hi13i02)

Coexister ?

Car c’est bien d’un doublement de l’espérance de vie qu’il s’agit. Les progrès de la médecine, la disparition des grandes épidémies, et surtout la disparition totale des famines du monde occidental nous permettent de bénéficier d’une durée de vie double de celle de nos arrières-grands-parents. Ceux-ci pouvaient s’estimer heureux s’ils atteignaient la cinquantaine dans un état pas trop dégradé. La vie était sans doute un bien plus précieux quand on savait qu’on pouvait la perdre avant même de voir sa progéniture accéder à l’âge adulte. Qui s’en plaindra?

Pourtant, doubler l’espérance de vie de larges groupes humains pose des problèmes majeurs, liés avant tout à la coexistence de populations qui n’étaient auparavant pas appelées à se connaître ou à se croiser aussi longtemps. Si nos grands-parents voulaient connaître leur descendance, ils avaient intérêt à procrée jeune, et à faire procréer jeune leurs propres enfants. De nos jours, rares sont les individus qui pensent à devenir père ou mère à 20 ou 21 ans, un âge où on se débat encore avec ses études. Avec la pression mise lors de l’entrée dans la vie active, l’âge où l’on devient parent est parfois repoussé au-delà de la trentaine.

Partir à la retraite ?

Cette coexistence (pacifique) entre juniors et seniors a un impact immédiat sur le marché du travail: un « jeune » de 25 ans peut être amené à travailler avec un « senior » d’à peine 50 ans ou plus. Sans parler des modes de communication qui peuvent parfois être difficiles, cela pose des problèmes économiques qu’on a souvent du mal à adresser: pourquoi confier telle mission à un senior quand un junior pourra s’en acquitter pour un coût salarial moindre (mais des compétences souvent réduites)? Il en résulte un paradoxe important, qu’on retrouve à peu près dans tous les secteurs économiques en France: à la cinquantaine, on est poussé vers la sortie du marché du travail, alors que l’âge de départ à la retraite ne sera atteint que dix ou quinze années plus tard.

Et encore, quand on parle d’âge de départ à la retraite, faut-il prendre conscience du fait qu’il est impératif de le faire croître (même s’il serait sage de différencier l’âge de départ en fonction des métiers exercés). Avec une espérance de vie de presque 85 ans, c’est près d’un quart de sa vie qu’on peut passer à la retraite. La pression économique portée vers les populations les plus jeunes n’en est que plus forte.

Transmettre ?

L’allongement de l’espérance de vie a également d’autres répercussions amusantes. Alors qu’un jeune rejeton de la fin du 19ème siècle pouvait « espérer » hériter un jour, lors du décès éventuel d’un de ses parents, c’est (heureusement) beaucoup plus rarement le cas de nos jours. On hérite de ses grands-parents, mais beaucoup plus rarement de ses parents directs (sauf accident ou maladie). Du coup, l’accès à un patrimoine significatif ne peut se produire que bien plus tard (sauf à tomber sur des parents qui ont pris conscience de l’impératif de transmettre une partie de leurs biens avant de quitter ce monde). Cela maintient une relation de dépendance économique au sein des familles, dont les impacts peuvent se faire ressentir longtemps.

En termes de transmission de patrimoine, il peut parfois s’agir de transmettre une entreprise. Dans certains cas, il n’est pas rare de voir le patriarche, qui a créé l’entreprise, ne jamais la transmettre à ses enfants, et ne songer à trouver un successeur que parmi ses petits-enfants. Ce saut de génération, aussi amusant qu’il puisse paraître, peut faire des ravages tant sur le psychisme des individus que sur les relations au sein des familles.

L’allongement de la durée de vie, c’est aussi l’assurance de croiser, au volant de véhicules plus ou moins récent, ce couple de petits vieux roulant à 40km/h sur une route nationale, et mettant en danger la vie des autres automobilistes. C’est l’assurance de revoir, tous les midis, les mêmes reportages inintéressants au journal télévisé. C’est l’explosion des ventes de dispositif d’aide auditive là où fleurissaient il y a quelques années des magasins d’optique.

N’allez pas croire que j’aie une dent contre les vieux – ou du moins les plus vieux que moi. Dieux fassent qu’ils vivent aussi longtemps que possible, et en bonne santé. Non, ce vers quoi je veux attirer ton attention, cher lecteur, c’est que des sujets qui ont apparemment été correctement traités il y a 50 ou 60 ans, doivent aujourd’hui être réexaminés avec tout le recul nécessaire pour trouver les solutions adéquates: régimes de retraite, emploi des seniors (j’aurai sans doute l’occasion d’y revenir dans les prochaines semaines, avec le lancement d’un site spécialement conçu pour ces derniers), etc.

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