Remettre les Polytechniciens en Uniforme

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par Serge Delwasse (X1986) et Auguste de Lambilly (X2021)

Cher lecteur,

L’idée que Serge appelait de ses vœux dès 2014, mais surtout en 2021, petit à petit, fait son chemin…

Mais avant de développer le sujet, il est bon de faire un peu d’histoire, notre préférée, celle de l’X et de ses uniformes :).

Au commencement

Depuis le dernier quart du XIXe siècle, et l’abandon de l’habit (le bit cher à Poincaré), le polytechnicien disposait de 3 tenues.

  • le grand uniforme (ou GU, prononcé « grand U » jusqu’à ce l’influence mili sur l’argot de l’X n’introduisît le « gu »), GU qui existait sous deux formes :
    • le GU proprement dit, avec épée, gants blancs, et, surtout bicorne, le claque) ;
    • le petit U, où le képi (modèle du génie avec galon école cul de dé, dit « d’élite ») remplaçait le claque.
  • la tenue de sortie :
    • jusqu’en 74, sur le modèle de la tenue de sortie du génie, avec les spécificités X suivantes :
      • le képi susmentionné ;
      • des passants d’épaule avec liseré rouge et alphas d’élève-officiers (argent, contrairement à ceux d’aspirant qui, eux, sont or) ;
      • les boutons « École polytechnique » que nous connaissons tous ;
      • les pattes de collet du génie (velours noir à l’origine, puis drap, probablement pour des raisons d’économies, grenade or) sans soutache – Note : 2 soutaches, unité combattantes métropolitaines ; 3 soutaches, unités d’Afrique ou créées hors métropole – et, de manière surprenante, une soutache ça n’existe pas – sauf sur le losange de bras, dit modèle 45, de… l’École polytechnique ;
      • ledit losange de bras.
    • à partir de 1975 (le déménagement qui a eu tellement d’influence et d’importance) et l’inversion du service militaire, les X arrivent à Palaiseau dotés de la tenue qui était celle qu’ils ont utilisée durant leur année mili. C’est ainsi que  se retrouvent sur le platâl, le premier jour de la rentrée de deuxième année, la quasi intégralité des uniformes de l’armée française, de l’intendance aux commandos de Marine. Seuls les élèves étrangers, la catégorie dite « particulière », sont dotés de la tenue du génie (coton beige en été, jaspée en hiver) avec les distinctives précédemment décrites ;
    • une remarque toutefois : en 1919, comme en 1946, les élèves ayant participé au conflit mondial et détenant le grade d’aspirant ou d’officier conservaient leur tenue d’arme.
  • la tenue d’intérieur
    • pantalon noir et veste noire à 8 gros boutons or et col fermé, dite « berry » jusqu’à la la Seconde Guerre Mondiale, bonnet de police avec gland rouge ou or, suivant les promos, puis sans gland – le fameux ossian (de Ossian Bonnet). Ledit bonnet a probablement disparu en 1919, à la réouverture de l’École après la guerre ;
    • tenue kaki de la troupe, avec spencer modèle 46, inspiré d’un modèle britannique, dite BD (le battle-dress devenant la « bédé ». Intéressant ce changement de genre…), sans attributs, et sans couvre-chef.
des X en jaspée, années 60, à Carva

Première rupture : la fin de la BD

À l’occasion du déménagement (oui, encore lui), on a voulu civiliser (civilianiser ?) la BD. Nous étions au milieu des années 70, la France était majoritairement antimilitariste, les élèves l’étaient encore plus…

On eut alors l’idée de créer une tenue que nous qualifierions d’ignoble, et dont ceux qui l’ont portée nous ont assuré que, de surcroît, elle grattait ; tenue composée :

  • d’un pantalon beige ;
  • d’une chemise de la même couleur ;
  • d’un pull vert armée à col en V et sans pattes d’épaule ;
  • d’une capote – il faisait froid sur le platâl avant que le réchauffement climatique ne commençât à adoucir le climat – du modèle général Armée de Terre.

Tenue qui a donné lieu, entre 1983 et 1986, à plusieurs années de conflit sur fond de « chasses à  l’homme » dans le grand hall, les élèves les plus sérieux qui tentaient d’aller en petites classes en civil – vous l’avez compris, les élèves normaux n’allaient pas en PC, c’était plus simple – se faisant courser par l’encadrement.

Conflit qui s’acheva par une décision raisonnable de l’astra (l’administration, la strasse, la mili quoi) : puisque les élèves ne voulaient pas porter la BD, allant jusqu’à, suprême outrage, la donner aux œuvres sociales de la kès, l’ASK, il fallait la supprimer. Ce qui fut fait en 87, la promo 86 n’avait plus de tenue d’intérieur. « Du coup » (oui, cher lecteur, tu es comme moi, tu détestes cette expression) on organisa une journée déguisée, dite « journée BD »…

Deuxième rupture : la fin du service militaire universel

Quand nous écrivons universel, nous pensons bien sûr universalité réduite aux X. C’est la réforme de 2000, réforme qui convertit l’année de service en « stage de formation humaine et militaire ». Une partie considérable (jusqu’à une centaine) des X effectuent ce stage au sein d’associations totalement civiles. Par définition, ces derniers n’ont plus d’uniforme. C’est donc la fin de la tenue de sortie. Le GU se porte en « conf-mili », ainsi qu’à toutes les occasions où l’uniforme est de rigueur. Pas tip-top…

Dans le même temps, les élèves deviennent des étudiants, l’École devient un « cycle ingénieur » dont le diplôme est remis aux élèves, horreur absolue, en civil, sous le prétexte que, étant en quatrième année, ils ne font plus partie des cadres, et l’association des anciens devient une association d’alumni... tout foul’camp ma pauv’dame.

Plus de tenue d’intérieur, plus de tenue d’arme, ne reste donc que le GU.

Le retour à la militarité

Sic transit gloria mundi. L’IPP, Institut Polytechnique de Paris, porte en son sein le risque de dissolution de l’X dans ce « machin » de plusieurs milliers d’étudiants. En parallèle, l’invasion de l’Ukraine et la guerre à nos portes nous rappellent que les armées sont quelque chose d’utile… L’idée de remettre les X en uniforme se fait plus prégnante. On apprend d’ailleurs que la réflexion s’est muée en étude. Nous progressons…

Pourtant, ladite étude bute sur trois points, les usual suspects, dès qu’on veut changer quelque chose dans cette école :

  • L’X est-elle une école civile ou militaire ? La réponse, comme souvent, est dans la question. Voire, mieux : la décision de remettre les élèves en uniforme serait, en soi, une réponse à la question ;
  • Les élèves (oups, les étudiants…) sont-ils prêts à se déguiser en petits soldats ? Ici, la réponse est, comme souvent également, triple :
    • ils y seront probablement prêts si la tenue est belle – la recherche du beau étant toujours une motivation profonde de l’être humain – et confortable ;
    • il n’est pas question de leur demander mais de leur faire accepter, sachant que, par définition, la première promotion qui portera l’uniforme n’a pas encore passé le concours ;
    • le diable se logeant dans les détails, l’acceptation sera d’autant plus forte que les modalités de port de la tenue (lieux, horaires, occasions) seront, elles, adaptées…
  • « Votre idée est bien belle, mais ça coûte » (environ 150k€ par an). A cette objection, nous avons deux réponses – pour une fois, il n’y en a en effet que deux :
    • que sont 150k€ versus la préservation de l’ADN de l’X ?
    • et, surtout, nous pouvons faire pour moins de 100k€, voire 75k€ !

Pour une tenue astucieuse

Seuls l’uniformologue diplômé et le fourrier du Binet mili peuvent faire la synthèse entre les principes, les tradis, et les économies. C’est ce que nous nous proposons de faire, de manière, nous l’espérons, astucieuse.

Nous entendons en effet par astucieuse, la récupération d’un certain nombre d’effets existants :

  • déjà distribués aux élèves :
    • le bonnet de police, ou calot, que le général Thorette, CEMAT, a remis en vigueur en 2005 ;
    • le pantalon de GU ;
    • les bottines ;
    • les alphas, passants d’épaule qui sont portés à la Courtine sur le treillis.
  • en dotation dans les forces, donc achetés en grand nombre et négociés durement par les services du Commissariat :
    • la veste noire de la gendarmerie ;
    • chemise et chemisette blanches ;
    • cravate noire.

Cela donne cela. Nous remercions les élèves de la promo 21, et au premier rang les Binets Mili et Photo, qui ont bien voulu se prêter au jeu de la composition de la tenue, de la pose, de la prise de photos et de leurs retouches.

C’est bô, nous dirions même plus : ça a « de la gueule », Et c’est important d’avoir de la gueule. Nous ne pouvons ici que vous rappeler Bigeard et ses casquettes . Mais, surtout, c’est pratique et confortable, Et, enfin, ce n’est pas cher ! En effet, chemise, chemisette, tunique et cravate, on doit en avoir pour moins de 200€, voire de 150€, TVA comprise – oui, l’École paie la TVA… Cette dernière rentre dans les caisses de l’État après en être sortie sous forme de dotation de fonctionnement, C’est absurde, mais c’est comme ça…

150€ par élève, fois 500, cela fait 75k€ par an. CQFD.

Et moins de 100k€ pour remettre de la militarité dans notre belle École, ce n’est pas cher !

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