Les NFT au service de l’art

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Il paraît qu’on a vendu le premier SMS cette semaine. Une oeuvre d’art atypique, adjugée à 107 000 euros. Le nom de l’acquéreur n’a pas été divulgué, mais il doit sûrement s’agir d’un fan de Vodafone, l’opérateur sur lequel fut diffusé ce premier texte de 15 caractères (alors qu’un SMS pouvait en contenir 156 à l’origine). Le texte du SMS est connu, il s’agit d’un Joyeux Noel (Merry Christmas en anglais) envoyé par un employé à son boss.

Noyeux Joel !

Rien de bien exceptionnel me direz-vous. Des SMS, on en reçoit tous les jours, et sous toutes les formes. Des questions à la con (t’es où ?), des messages tendres, des publicités, des spams, et même des photos, rendues possibles une fois le MMS apparu. D’ailleurs, je viens d’en parler à mes gosses, qui m’ont traité de Boomer, vu que les SMS ont été remplacés par les messageries instantanées et les TikTok.

Ce qu’il y a d’exceptionnel, c’est le fait de vendre un support immatériel à un prix aussi élevé. Le premier tweet, qui ne contenait pas grand chose de plus intéressant, a été vendu près de 3 millions de dollars. Des oeuvres d’art immatérielles mais un peu plus évoluées, comme des animations graphiques, ont également été vendues aux enchères ces derniers mois, pour des sommes fort coquettes. Les grandes maisons comme Christies s’y intéressent, la distanciation sociale et la limitation des possibilités de déplacement à l’étranger par ces temps de Covid n’y étant sans doute pas les seuls raisons.

Cela pourrait sembler une révolution majeure, dans l’histoire de l’art. Alors qu’on pouvait décemment clamer la possession immatérielle d’un bien matériel, on va pouvoir désormais clamer sa possession matérielle d’un bien immatérielle. L’humanité en sortira grandie. Désormais, il ne sera plus nécessaire d’immobiliser des moyens énormes pour protéger ses biens artistiques – nul besoin de mètres carrés onéreux, de musées, de caméras de surveillance, de vigiles, ou d’alarmes sophistiquées pour protéger un tweet ou un SMS. En revanche, il faudra bien garder la preuve de son achat.

Bien sûr, je vois déjà quelques petits malins qui s’apprêtent à mettre aux enchères leur premier caca informatique, du genre:

#include <stdio.h>
int main() {
   printf("Hello, World!");
   return 0;
}

Est-ce de l’art ? Ça dépend du point de vue. Pour un vieux programmeur comme moi, un tel programme soulève des monceaux de souvenirs. La nostalgie du vieux code, la concision du programme, son inutilité absolue, tout cela n’apparaît qu’aux yeux du connaisseur, du vrai. Qui a dit que l’art était universel ? Pour un philosophe de l’art, pourtant, c’est de l’art, en ce sens que l’art permet de mettre en valeur des ruptures, et le premier SMS ou le premier tweet sont bien des ruptures, en termes de technologie ou de communication.

Ce type de production informatique, pour moi, s’apparente réellement à de l’art – et j’ai déjà écrit sur la part de poésie que possède toute création informatique. Dans ma jeunesse, j’ai croisé des formes de codes bien plus étonnantes. On appelle cela des quines. Il s’agit de morceaux de code qui, lorsqu’on les exécute, s’auto-génèrent. En voici par exemple en Python :

a='a=%s%s%s;print(a%%(chr(39),a,chr(39)))';print(a%(chr(39),a,chr(39)))
b='b={}{}{};print(b.format(chr(39),b,chr(39)))';print(b.format(chr(39),b,chr(39)))
c='c=%r;print(c%%c)';print(c%c)

Alors payer une fortune au créateur de ces quine, avec plaisir. Mais payer une fortune pour un truc que tout le monde possède ou peut recréer à la maison, n’est-ce pas de l’argent foutu en l’air ?

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