La guerre des Juifs contre les Romains

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J’avais acheté cette édition de La guerre des Juifs contre les Romains il y a près de trente ans, dans une librairie de Jerusalem. Adapté en français moderne à partir d’une traduction depuis le grec réalisée au 16ème siècle par Arnauld d’Andilly, ce livre a priori passionnant se révélait d’une lecture difficile : texte dense et peu aéré, écrit dans un style assez pénible, où il est souvent difficile de comprendre à quel personnage fait référence le traducteur quand il utilise tel ou tel pronom personnel. Bref, ce n’est pas le style de livre qu’on parcourt dans le métro pour passer le temps. Mais profitant des fêtes de Tichri, je me suis lancé une nouvelle fois dans la lecture de ce récit incroyable. Et je n’ai cette fois pas été déçu.

Une guerre totale

Comme son titre l’indique, ce livre raconte le déclin et la perte du royaume de Judée, et son anéantissement par Rome. Son auteur, Flavius Josèphe, contemporain des événements dont il est question, était un chef de guerre juif qui s’est rendu aux forces romaines, lors du siège de Jotapat, au cours d’un épisode dont j’ai souvent entendu le récit quand j’étais jeune. Enfermé dans une grotte avec une cinquantaine de coreligionnaires qui préféraient mourir plutôt que se rendre, Josèphe eut l’ingéniosité de proposer un suicide collectif où chacune ferait périr un de ses amis avant de se faire trucider par un autre, le dernier finissant par se suicider. Le hasard – mais est-ce du hasard ? – voulut que Josèphe finisse dernier survivant. On m’a jadis raconté – mais le livre n’en parle pas – que l’algorithme de tirage au sort consistait à aligner les cinquante soldats en cercle, puis qu’on partait du premier soldat, puis que le 8ème devait tuer le 1er, le 15e devait tuer le 8e et ainsi de suite, en comptant sept soldats à chaque fois. Bien malin celui qui, en pareille occasion, sait trouver du premier coup la pace du dernier survivant…

Josèphe démarre le récit avec la guerre des Hasmonéens. C’est en effet l’un de leurs descendants qui invita Pompée à l’aider à prendre le pouvoir. Dès lors, Rome n’eut de cesse de renforcer sa présence dans la région, point de passage obligé vers la Syrie, et voisin privilégié de l’Egypte, grenier à blé de Rome. Josèphe décrit scrupuleusement les différentes étapes qui ont mené les chefs de guerre qui succédèrent à Hérode et ses descendants, à chercher à s’émanciper de Rome, pour leur plus grand malheur. Il décrit avec d’abondants détails la décomposition du pouvoir central, et l’essor de hordes de bandits, les zélotes, qui ne cherchent que l’affrontement avec Rome, et terrorisent la ville sainte, dont la population se serait probablement satisfaite d’une pax romana.

La faute à qui ?

Ce qui ressort de ces quelques trois cents pages, c’est le sentiment d’un immense gâchis. Certes, Josèphe, devenu courtisan du futur empereur Vespasien, ne cesse de glorifier Rome et ses forces armées. Son parti est pris : à quoi bon lutter contre la première puissance du moment, quand on n’est même pas capable de taire les querelles intestines ? Pour lui, cette guerre est perdue d’avance, et il ne sert à rien de vouloir tenter de réaliser ce que des dizaines d’autres peuples, autrement plus vaillants n’ont pu mener à bien. C’est faire preuve d’une ubris démesurée que de prétendre faire mieux que les grecs, les gaulois, les lusitaniens ou les carthaginois.

Ce qui ressort également de cette lecture, c’est que les discours des rabbins lors des jours de jeun liés à ces événements tragiques devraient, dans une certaine mesure, s’appuyer sur ce témoignage incroyable. J’ai souvent entendu, à de telles occasions, rappeler que ce sont les dissensions au sein du peuple juif qui mènent à la catastrophe. En l’occurrence, il ne s’agit pas de dissensions, mais plus concrètement de la prise de contrôle de la ville par deux ou trois bandes armées, qui ne cherchent qu’à imposer un cycle de violence, qui n’a rien, mais alors rien à voir, avec la pratique religieuse. Là-dessus, Flavius Josèphe est clair. Le temple sert, pour ces bandes d’assassins, de base de repli, voire de terrain de combat.

L’armée romaine, comme si vous y étiez

On y découvre également l’organisation incroyable de l’armée romaine. Comment se décomposent les cohortes, comment elles se mettent en marche, ce qui compose l’équipement du centurion moyen. L’armée romaine est une armée non pas de combattants vaillants et cruels, comme l’imaginaire collectif aime à la représenter, mais comme une armée d’ingénieurs et de terrassiers, dont la force réside dans sa capacité à aménager le terrain pour le rendre favorable à ses troupes : aplanir une colline, combler un fossé, monter des machines capables de projeter des rocs à plus d’un kilomètre de leur point de départ et de dévaster le camp ennemi, voici ce qu’est l’armée de Titus et de Vespasien. Elle se hâte avec lenteur, préférant la supériorité technique à la surprise ou à la vitesse.

Siège de Jérusalem (70) — Wikipédia

La destruction du royaume de Judée, enfin, coïncide avec une période trouble de l’histoire de Rome. Alors que Vespasien s’apprête à réduire la rébellion juive, Rome traverse en effet une période trouble, durant laquelle, en deux ans, vont se succéder pas moins de trois empereurs : Galba, Othon, Vitellius. Tour en menant sa campagne de Judée, Vespasien va s’emparer du pouvoir, pour devenir empereur et régner sur l’empire romain pour une dizaine d’années. Son fils Titus, partagera le pouvoir avec lui, avant de devenir empereur lui-même, pour une courte année, et céder la place à son frère; Domitien.

Pour aller plus loin

Je ne peux que conseiller la lecture de ce livre difficile mais passionnant. Le récit est captivant, l’histoire tragique. Le texte abonde cependant de références aux différentes villes de cette région du monde, et il est parfois difficile de s’y retrouver, surtout avec les traductions des noms des billes en français. Je econseille fortement le lecteur éventuel de s’appuyer sur un atlas historique en parallèle, pour suivre les mouvements des troupes romaines et des forces rebelles. Je me suis orienté, pour ma part, à l’aide d’un atlas historique en hébreu, qui documente particulièrement bien les événements de cette période. Enfin, les références incessantes de Josèphe aux événements qui se déroulaient en parallèle à Rome m’ont poussé à reprendre, en parallèle, la lecture d’un admirable livre de Suétone, historien de Rome : ses Vies des douze Césars recoupent, par endroit, les événements relatés par Josèphe.

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