Intelligence artificielle, talk-show superficiel ?

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J’aime bien l’émission C ce soir, sur France 5. Confortablement installés dans des fauteuils disposés en un large cercle, les présentateurs de l’émission – Karim Rissouli, Laure Adler, Camille Diao – et leurs invités y débattent de sujets de société, sans animosité et dans un cadre qui rappelle, de loin, les discussions au coin du feu. Certes, cela parle souvent d’immigration, de Poutine ou de réforme de l’âge de départ à la retraite, mais bon, ne faisons pas la fine bouche : dans l’univers de plus en plus large des talk-shows, qui ont envahi les programmes télé et radio depuis quelques années (Cnews, LCI, BFM, France Info, etc.), C ce soir fait figure de havre de paix. Et pour finir une soirée démarrée sur une autre chaîne, il n’y a rien de tel, avant d’aborder une douce et réparatrice nuit.

Mais malgré les efforts de nos trois animateurs, les invités de C ce soir ressemblent à s’y méprendre aux invités des autres talk-shows : experts, journalistes, philosophes, ils naviguent d’une chaîne à l’autre, et le décor de l’émission a beau être feutré, le contenu des débats ne peut aller plus loin que ce que lui permet le niveau de connaissance et de compétence des invités.

J’en ai eu la malheureuse illustration mercredi soir. Après un excellent match de Champion’s League (victoire de Manchester City sur le Real de Madrid par 4 buts à 0), je ne sentais pas encore monter l’envie de m’assoupir. Rien de tel, me dis-je alors, que d’aller faire un tour sur France 5, et découvrir le sujet du débat. Et ô délicieuse surprise, on y parlait technologie. Mieux, on y parlait intelligence artificielle et ChatGPT. Je ne connaissais pas les invités, tout au plus ai-je reconnu le nom de l’un d’entre eux, Gaspard Koenig, que je confonds régulièrement avec d’autres Gaspard tout aussi médiatiques – Gaspard Gantzer et Gaspard Proust, qui n’ont, en réalité, rien à voir avec le premier.

Les débats sur l’IA relevaient de la soupe qu’on nous sert depuis plusieurs mois autour de ChatGPT et du risque sur l’emploi, de la future domination des IA fortes, bref, ça ne volait pas très haut. Le comble fut atteint lorsqu’une des invités et partie s’embourber sur l’usage de tokens dans les algorithmes d’IA, jusqu’à ce que Laure Adler, pas si ingénue qu’elle ne le paraît, posa a question qu’il ne fallait pas poser à la 35e minute.

  • Ça a l’air très compliqué, vous pouvez nous expliquer ?
  • Non, non, j’peux pas expliquer techniquement, j’suis pas du tout ingénieur…

Voilà, tout est dit en deux phrases. Sur un sujet d’une haute technicité, les animateurs de l’émission avaient réuni six invités, dont pas un seul n’était ingénieur ou scientifique. Trois philosophes, deux journalistes, un magistrat (auteur d’un livre qui fait le buzz…), mais pas un seul chercheur en IA, pas un seul ingénieur – alors que nous en avons de très bon. Et s’il est peut-être difficile de dénicher la perle rare qui voudra bien sortir de son laboratoire pour s’exprimer, il y avait bien tous ceux qui ces dernières années ont écrit des livres sur l’IA, de Luc Julia à Marie David, d’Olivier Ezratty à El Mahdi El Mhamdi.

Résultat : on a assisté à un débat d’une pauvreté affligeante, où l’on avait plus l’impression que les invités rivalisaient sur les projections futuristes les plus alarmantes, ou sur celui qui citerait le plus de noms barbares sans en comprendre le sens. Mais absolument pas à une émission ayant une véritable portée pédagogique, basée sur une connaissance fine de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas.

À qui la faute ? Aux ingénieurs qui ne savent ou ne veulent pas s’exprimer ? Où aux journalistes et philosophes qui veulent s’exprimer sur tout ce qui bouge ?

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