Le numérique, une priorité pour les entreprises françaises et le gouvernement

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A l’invitation de l’Elysée, je me suis rendu ce mardi midi à une rencontre informelle entre le Président de la République et une brochette de chefs d’entreprises du numérique. Bien entendu, doté de plusieurs casquettes (chef d’entreprise, acteur du numérique, coauteur d’un excellent ouvrage sur le sujet), je n’allais pas manquer l’occasion de vous faire part de nos échanges. Dans cet article, je ne vous parlerai pas, en revanche, du menu (fort raisonnable) ni du protocole (très élaboré).

Le mode opératoire

Apparemment, le président rencontre régulièrement des citoyens pour évoquer des sujets de société. Les échanges, informels, restent cadrés autour de sujets présentant un intérêt majeur. Pour l’occasion, le cabinet de Fleur Pellerin avait réuni une douzaine de participants. Des parlementaires particulièrement impliqués sur cette thématique sont également associés aux débats, sous la forme, ici, d’une réunion puis d’un déjeuner.

Par son tissu d’entreprises, ses filières de formation, son potentiel d’innovation, la France est et entend rester une grande puissance du numérique. Quels sont les ressorts d’une telle présence, quelles orientations à prendre, quels sont les ressorts économiques sur lesquels s’appuyer, voici certaines des questions abordées durant les trois heures passées ensemble.
Voici donc, sans chronologie aucune, ni d’ordre de priorité, les thème discutés avec le président.

L’environnement du numérique

La filière numérique en France, c’est 650 000 emplois, une dynamique de croissance très forte, un chômage assez faible (4%). L’industrie du numérique, c’est 4% du PIB mais 25% de la croissance. C’est un impact sur une entreprise sur cinq, tous secteurs confondus. Pourtant, ce constat initial cache de fortes disparités : disparités des entreprises, des formations, des processus d’appropriation du numérique par les différentes industries. Cette dualité industrie du « numérique / industries concernées par le numérique » est une caractéristique forte, qui sous-tend l’ensemble de nos discussions.

L’industrie du numérique est aujourd’hui soutenue par des dispositifs (CIR, JEI) qui ont fait leur preuve, mais qui sont menacés par une certaine rigidité des structures de contrôle. Certaines entreprises hésitent même à y faire appel de peur de se faire pénaliser. Le chef de l’état a rappelé que ces dispositifs seraient maintenus et entend les propos du président du SYNTEC.

La formation

La France s’est toujours distinguée par l’efficacité de ses filières de formation. Dans le numérique, des filières nouvelles se créent, qui embrassent l’ensemble des besoins : développeur, graphiste, web marketer, etc. Des écoles comme 42 ou l’EEMI voient le jour. Pour moi, ces filières sont extrêmement importantes, ce sont des « prépas » du numérique et leur rôle est comparable, en ces temps de guerre économique, au rôle que tenaient l’Ecole Polytechnique ou l’Ecole des Mines, pour alimenter l’Etat en ingénieurs et talents variés. Cela peut faire sourire, mais je suis prêt à prendre rendez-vous dans 20 ou 30 ans pour en reparler.

Le big data

L’explosion des données sur le web pose le problème de leur exploitation. Données France privées, données publiques, la France a les moyens, en termes d’ingénieurs et de mathématiciens, pour travailler sur ces données. Des acteurs existent déjà, comme Criteo, mais ils sont trop rares, mais surtout se pose la question de l’accès à ces données. Celles stockées sur un Google, un Amazon ou un Facebook ne sont déjà plus accessibles. Ce débat sous-tend celui de l’identité numérique, de l’anonymat sur internet…

La fiscalité

Jacques-Antoine Granjon le rappelait fort justement, l’entreprise qu’il a créée paie probablement plus d’impôts en France que Facebook, Amazon et Google réunis. C’est un sujet important, car cela relève d’une concurrence déloyale, ces dernières entreprises pouvant, à moindres frais, recruter les meilleurs profils et les motiver financièrement.

De son côté, Marc Simoncini rappelle que son fond d’investissement est imposable sur la base de l’évaluation des startups dans lesquelles il a investi, sachant fort bien que ¾ d’entre elles échoueront : un tel impôt est-il juste ? Certainement pas.
Enfin, il est à ce jour devenu quasiment impossible de fidéliser les meilleurs collaborateurs sur la base de plans de stock-options, et cela risque de conduire à une « fuite des cerveaux » vers des pays plus attractifs.
Le chef de l’état a bien compris les erreurs commises par le passé, et a bien entendu les problèmes exposés, particulièrement sur la fidélisation des salariés, indispensable à un développement pérenne des entreprises du numérique.

L’e-commerce

L’e-commerce est, selon les termes de Jacques-Antoine Granjon, la dérivée de l’essor de l’ADSL en France. Il n’a véritablement décollé qu’à partir de 2007. Les acteurs qui s’étaient lancé auparavant ont énormément souffert de ce développement tardif, d’avoir eu « raison trop tôt ». Aujourd’hui, l’e-commerce représente 40M€ en France, et à peu près le double au Royaume-Uni.

L’e-commerce a des vertus inestimables en termes de qualité des produits, qualité des services. Il n’a pu se faire que grâce à l’essor de filières logistiques, et il faut rendre grâce à Colissimo qui a sut être un excellent partenaire à cette filière.
Mais les e-commerçants français sont aussi trop nationaux, ils semblent rester enfermés dans une sorte de cloisonnement. Parmi les raisons de ce cloisonnement, la disparité des taux de TVA ou l’absence de moyens de paiement unifiés ne sont pas les moindres, même si la culture du paiement en ligne diffère d’un pays à l’autre.

Enfin, les VADistes et VPCistes qui ont pris trop de retard dans ce domaine sont soit morts, soit en train de connaître une lente descente aux enfers.

La sensibilisation des entreprises

Le président a parfaitement saisi la double ambigüité de l’économie numérique en France.

  • Première ambigüité, d’un côté des salariés – des citoyens ? – parfaitement rompus au numérique grâce au développement du mobile et du haut débit, de l’autre des entreprises qui accusent un retard certain dans le numérique. Trop nombreuses sont encore, en effet, les entreprises qui n’ont simplement pas … de site internet !
  • Deuxième ambigüité, d’un coté une filière numérique dynamique, innovante, vivante, avec de nombreux acteurs (éditeurs, entreprises de services numériques, agences, etc.). Et de l’autre, l’absence de grand industriel du numérique, d’un Google ou d’un Amazon national, capable de porter haut un écosystème de startups numériques à la française.

Le livre que Yann Gourvennec et moi avons coécrit avec une vingtaine d’autres experts du digital, véritable manuel de survie à l’usage du chef d’entreprise aux prises avec le numérique, est un premier pas vers une prise en considération accrue de la part des entreprises françaises. Ce livre, qui a obtenu un soutien du MEDEF (dont le président a écrit la préface), devrait probablement être distribué à tous les chefs d’entreprise françaises, et particulièrement de celles qui ne relèvent pas directement du numérique, afin de comprendre que nous sommes tous concernés par le numérique et son essor en France.

Un enjeu national

Le numérique, loin d’être une marotte parisiano-parisienne, est un sujet qui relève d’une certaine ambition nationale. Des initiatives comme celle portée par mes amis de Vendée RS, les succès d’un acteur nordiste comme OVH, illustre les répercussions positives d’une véritable dynamique entrepreneuriale aussi bien l’échelon local que sur le global (le « glocal » si cher à Yann et Hervé Pillaud).
En outre, coincés dans une sensation de marasme économique, entretenue par la disparition d’entreprises dont certaines n’avaient simplement pas compris les modèles économiques du 21e siècle, nos compatriotes cherchent aujourd’hui des solutions du mauvais coté, auprès d’extrémismes de toutes sortes.

Le numérique présente une réelle opportunité de redorer le blason quelque peu écorné de l’économie française. Il permet de sortir de cette dialectique stérile autour des excès du CAC 40, du chômage en pleine croissance. Il est porteur d’un message national, il offre la possibilité d’une fierté nationale retrouvée, autour d’acteurs talentueux comme Criteo, ou d’autres entreprises à succès.
Voilà, en vrac, quelques uns des sujets évoqués autour de la table, ce mardi midi à l’Elysée. Nous n’avons certes pas refait le monde. Mais avons défendu avec fierté, et sans doute un peu d’utopie, l’image d’une France capable de devenir et de rester la grande puissance du numérique qu’elle doit légitimement être. Mais après tout, les grands projets ne sont-ils tous pas bâtis sur de telles visions ?

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