Who we are and how we got here

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Voici un livre de la lecture duquel vous ne sortirez pas indemnes. Un livre inspirant, qui vous amène aux confins de l’histoire, de l’archéologie, de la biologie, des mathématiques statistiques et de la sociologie. C’est par un tweet enthousiaste de Nassim Taleb que je suis tombé dessus. Son thème ? L’ADN fossile, autrement dit l’ADN prélevé sur des organismes décédés il y a plusieurs milliers d’années. Mais ici, il s’agit d’ADN humain. Le propos de Who we are and how we got here, c’est de nous amener à réfléchir sur l’évolution de l’espèce humaine grâce aux progrès réalisés sur l’étude de l’ADN fossile humain. En un peu moins de 300 pages, son auteur, David Reich, professeur de génétique à Harvard vous fait traverser plusieurs dizaines de milliers d’années pour comprendre comment nous en sommes arrivés là.

Pour y parvenir, Reich procède par étapes: d’abord expliquer comment les équipes qui travaillent sur l’ADN fossile travaillent. Ensuite, recenser les résultats obtenus sur l’étude des population qui ont peu à peu occupé toute la planète. Enfin, réfléchir aux conséquences auxquelles conduisent de tels travaux.

Le livre commence donc par rappeler les fantastiques progrès réalisés ces vingt dernières années sur le séquençage de l’ADN, et notamment durant les 4 ou 5 dernières années sur l’analyse de l’ADN fossile: comment récupérer l’ADN à partir de l’os d’un doigt de pied ou de certains os au sein desquels il se conserve mieux. Grâce à ces nouvelles techniques, les chercheurs peuvent non seulement comparer l’ADN fossile prélevé sur des individus ayant vécu à des époques reculées, mais également, et c’est là le point essentiel, comparer les séquences similaires. Comme le rappelle Reich, les mécanismes héréditaires sont les mêmes pour tous les individus: nous héritons une part du patrimoine génétique de nos parents, de nos grands-parents, etc. Mais plus on remonte dans le temps, et plus la part d’ADN de nos ancêtres dans notre ADN diminue: nous n’héritons pas de tous nos aïeux. La probabilité de retrouver des séquences proches entre des brins d’ADN issus d’individus éloignés dans l’espace et dans le temps est faible: l’identification de séquences communes permet donc d’induire un héritage commun, des ancêtres communs.

Pour y parvenir de manière rigoureuse, l’équipe de Reich a développé des procédés rigoureux d’un point de vue scientifiques, et s’est attelée à comparer l’ADN prélevés sur des squelettes un peu partout dans le monde. Ce qu’ils ont découvert est absolument remarquable, et permet de repenser les flux migratoires sur les cinq continents. Reich passe d’ailleurs en revue les grandes régions du monde, et revisite la préhistoire à l’aune des découvertes permises par l’étude de l’ADN fossile. A cet égard, les passages sur le peuplement du continent américain ou la structuration de l’Inde en une multitude de sous-groupes sont particulièrement renversants.

L’étude de l’ADN fossile mène également à des résultats plus surprenants (bien que facilement compréhensibles, quand on regarde autour de soi), en incluant l’étude sur l’ADN mitochondrial, transmis par la mère, comme la prédominance du patrimoine génétique de certains mâles. Ou encore, mais c’est un signal plus fin, le fait que lorsque deux populations de conditions sociales différentes se sont croisés, comme en Inde, on retrouve principalement des croisements entre pères de condition plus élevée et mère de caste inférieure, et quasiment jamais de croisement en sens inverse: lorsque les croisements de population se mettent en place, cela commence toujours par le mâle issue de la classe dominante qui va chercher des concubines ailleurs, qu’en sens inverse.

Ce qu’explique Reich, c’est que la révolution produite par l’étude de l’ADN fossile est au moins aussi importante que celle qu’a constitué l’utilisation du carbone 14 pour obtenir des datations approximatives (et qui valut à Willard Libby un prix Nobel…). Mais elle ne va pas sans poser de problèmes. Car à côté d’une communauté scientifique qui travaille de manière rigoureuse, se développent des mouvements beaucoup moins stricts dans leurs approches et leurs conclusions, qui s’appuient sur les travaux des chercheurs pour faire remonter à la surface les vieux démons autour des races et de la supériorité génétique de tel ou tel groupe humain. L’anecdote sur James Watson, un des pères de l’ADN, est proprement stupéfiant.

Est-ce à dire que les recherches comme celles que mène David Reich et ses collègues devraient être abandonnées? La réponse de Reich sur ce sujet est cinglante (j’utilise moi-même une version similaire quand il s’agit de parler des risques et des dérives liés aux usages des réseaux sociaux):

If as scientists we willfully abstain from laying out a rational framework for discussing human differences, we will leave a vacuum that will be filled by pseudoscience, an outcome that is far worse than anything we could achieve by talking openly.

De toute évidence, Who we are and how we got here est un livre à mettre entre les mains de tous ceux appelés à réfléchir sur les évolutions de notre société, et le plus tôt possible, pour qu’ils comprennent que nous sommes avant tout le fruit de croisements de population, et que les concepts de race pure n’existent pas. Je recommanderais même qu’on étudie certains passages, lors de cours commun maths(proba)-svt-histoire-anglais, dans certaines classes de terminales…

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