Simon Kabla

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Simon Kabla est décédé ce matin. Il était le frère cadet de mon père, le second de cette fratrie arrivée de Tunis dans les années 60. Professeur de mathématiques comme mes parents, il a enseigné pendant de nombreuses années au lycée Jean-Baptiste Say, puis au lycée Janson de Sailly. Il a même créé, dans les années 70, une école privée, le « Cours privé Clapeyron« , qui existe encore (!), et qui joua un rôle majeur dans mon apprentissage des mathématiques…

La grille d’entrée de Jean-Bat.

De Tunis à Jean-Baptiste Say

Né pendant la seconde guerre mondiale au sein d’une famille djerbienne, Simon Kabla avait reçu tout d’abord une éducation spécifiquement religieuse, avec mon père. Tous deux sont des anciens élèves de yeshiva, le Keteb, comme on appelait cela en Tunisie. Il était donc un fin connaisseur du tanakh, et il était doté d’une assez jolie voix, dont il aimait faire profiter l’auditoire, lors de lectures de la haftarah, à la synagogue. Ce n’est qu’au tout début de leur adolescence que mon père et lui furent repérés par leur rabbin, rabbi Yehouda Ouzan je crois, qui les incita à suivre une éducation scolaire plus classique. Il deviendrait donc prof de maths.

Avec sa fille Nathalie, ma cousine, j’ai été élève de Simon, durant deux années, en classe de troisième et de seconde à Jean-Baptiste Say, au sein d’une classe assez brillante, où je devais âprement disputer ma place de premier en maths avec des pointures comme Frédéric Gauthey, Bertrand Schwab ou Laurent Bizouarn, que j’ai retrouvés quelques années plus tard à Louis-le-Grand. Je me souviens que c’est avec Simon que je me suis familiarisé avec la notion d’espace vectoriel, de loi de composition interne et externe (même si j’approfondissais ensuite ces concepts de mathématiques modernes avec mon père) ou de produit scalaire. Il faut dire que mon oncle avait eu des élèves brillants auparavant, les grands frères Gauthey et les frères Lainé, qui intégrèrent plus tard l’X ou l’ENS, et avait décidé d’imposer un niveau élevé à sa classe. Cela eut une influence certaine sur mon parcours, par la suite.

Sport et études

Rigoureux sans être particulièrement sévère, je crois qu’il intimidait ses élèves, avec sa haute stature, sa moustache et son regard profond. Pourtant, il avait énormément d’humour, et débordait de culture générale. Si on finissait rapidement les longs devoirs sur table qu’il nous donnait, on pouvait l’apercevoir nous surveiller d’un oeil, assis derrière son bureau, tout en feuilletant le journal l’Équipe : Simon adorait le sport, le ski, le tennis et surtout le football, qu’il pratiquait tous les dimanche au sein d’une équipe composée de ses autres frères (mais pas mon père) et de quelques uns de ses amis de Pierrefitte, où il s’était installé en arrivant en France, pas trop loin de mes grands-parents.

Simon adorait l’histoire, la géographie, et surtout la France. Alors que mes parents ne nous emmenaient en vacances qu’à Juan les Pins, il emmenait chaque fois sa propre famille visiter des endroits différents, et avait fini par acquérir une maison en Normandie, et non à Deauville, comme de nombreux juifs tunisiens, mais en pleine cambrousse. Il affirmait même – mais je ne suis pas sûr qu’il avait raison – que la Touques passait par son jardin.

Clapeyron

Dans les années 70, il avait eu l’intuition du développement des cours privés, et avait créé, avec l’aide de Mr Longueville, une école privée appelée Europe-Math, devenue ensuite le Cours privé Clapeyron, pas très loin de la gare Saint-Lazare. Les effectifs n’y étaient pas pléthoriques, mais je crois que les élèves qui y sont passés, et y ont croisé mon oncle et même mon père entre autres professeurs, en ont gardé un souvenir pittoresque.

L’entrée du batiment
Europe-Math
Mr Longueville

Pour ma part, je garde un autre souvenir de Clapeyron.

Les logarithmes et moi

Je ne sais comment cela est arrivé, s’il avait eu un éclair de génie marketing ou si l’idée était venue de quelqu’un d’autre, mais pour faire connaître son établissement, mon oncle avait fait imprimer des petites brochures qui se pliaient en trois. Sur ces brochures, on trouvait des tables de calcul : il faut se souvenir que dans les années 70, la calculatrice scientifique n’existait pas encore (les premières Ti et HP arriveraient vers 1978-1979), et on utilisait la règle à calcul pour faire certaines opérations.

Cette brochure indiquait donc des tables de logarithmes, des tables de calcul trigonométrique, auxquelles je ne comprenais rien à l’époque – c’est normal, je devais avoir 8 ou 9 ans à peine. Mais je me souviens cependant d’une table qui me paraissait compréhensible : ses deux premières colonnes indiquaient les carrés et les cubes des nombres de 1 à 100. Rien de très difficile, pour qui sait compter, et je comptais fort bien. Mais les deux colonnes suivantes étaient plus complexes : elles fournissaient une estimation avec quelques décimales des racines carrées et cubiques des nombres de 1 à 100. Et ça, c’était plus original.

Une autre époque

Et bien voilà qu’un jour je me ramène à l’école – en CM1 – avec une de ces brochures, pour expliquer ces concepts magiques à mes camarades de classe. L’institutrice s’étant rendu compte que je faisais du bruit me confisqua la brochure, ce qui me contraria énormément. Mais peu importe, le ver était dans le fruit : j’avais compris, avant tous les autres, ce qu’était une racine carré. Quelques jours plus tard, alors que nous avions appris à calculer le volume d’un cylindre – et oui, en CM1, à l’époque, on faisait de vraies maths – j’expliquais à mon père que s’il me donnait un cylindre, son volume et sa hauteur, j’étais capable de calculer son rayon (je laisse le soin au lecteur curieux de déterminer comment…). C’est ce qui incita mon père, selon la légende familiale, à me faire sauter le CM2 et à me lancer dans le grand bain du collège…

Merci Simon.

Adieu tonton.

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Addendum : un grand merci a Guy Longueville pour certaines des photos qui illustrent cet article, cf. les commentaires qui suivent.

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