Le Problème de Turing

Cet article vous a plu ? Pourquoi ne pas le partager ?

Publié au début des années 90, Le Problème de Turing est un roman de science-fiction qui n’a que peu de choses à voir avec Alan Turing et sa machine… Et bien qu’il mette un peu de temps à démarrer, il s’avère un excellent polar, mâtiné d’Intelligence artificielle. Bien sûr, publié à une époque où Google n’existait pas encore et où les premiers réseaux de neurones voyaient à peine le jour, il ne brille pas par sa modernité, et fait parfois preuve d’une certaine naïveté. Mais ses auteurs, le spécialiste de l’IA Marvin Minsky et l’auteur de Soleil Vert Harry Harrison, font évoluer l’intrigue avec habileté, entre évolutions technologiques et prouesses de l’IA.

Avec ou sans Turing

L’action se situe en 2023, dans un futur qui l’est encore un peu pour nous. Brian Delaney est un scientifique brillant et précoce, fils d’un mathématicien talentueux, d’origine irlandaise. Employé par un centre de recherche ultra-secret, il vient de mettre au point une intelligence artificielle révolutionnaire.

Hélas, dès les premières pages, un drame se produit : au moment où il fait la démonstration de sa découverte aux dirigeants de l’entreprise, un commando fait irruption, massacre les participants et prend possession de la découverte majeure, cette IA ultra-secrète mais déjà convoitée par des inconnus prêts à tout pour s’en emparer.

Ce livre raconte l’enquête menée pour découvrir qui se cache derrière cette opération ultra-violente, dont l’inventer va par miracle sortir vivant, au prix d’une reconstruction de son cerveau par la greffe d’une machine qui va en faire, de fait, le premier humain augmenté de capacités cérébrales assistées par un ordinateur.

Publié bien avant Google et Wikipedia, alors que l’Internet n’était qu’un projet connu de quelques milliers de scientifiques et que le web n’en était qu’à ses balbutiements, ce livre pourra amuser par l’absence de référence à des termes ou des mécanismes qui, si l’ont devait le réécrire aujourd’hui, feraient évidemment parti du quotidien de Brian et de ses créatures. Il n’empêche que si l’on fait abstraction de cela, ce Problème de Turing est un livre captivant, que je n’ai d’ailleurs pratiquement pas lâché du weekend.

Un vrai roman d’anticipation technologique

L’un des aspects les plus intéressants du livre réside d’ailleurs dans les anticipations faites par les auteures, et relatives au monde dans lequel nous vivons. Certaines ne se sont pas encore produites, comme les avions de chasse volant à Mach 4 ou les avions de ligne à décollage vertical.

D’autres sont particulièrement bien pensées, même s’il était déjà évident, au début des années 90, que le succès serait au rendez-vous. Il en est ainsi de la diffusion des fibres optiques, ou de la téléphonie mobile, et du mode vibreur, qui fait partie du quotidien des protagonistes. En revanche, les auteurs n’anticipent pas la disparition des cabines téléphoniques, qui continuent d’exister. De même – mais peut-on leur jeter la pierre – ils n’envisagent pas le Brexit, et le trajet entre l’Irlande et l’Europe en passant par le tunnel sous la Manche se fait sans contrôle des passeports…

Les auteurs anticipent l’essor des écrans à très haute définition, au rendez similaire à une photographie ou un tableau. Et si le langage utilisé pour développer l’IA, une évolution du Lisp appelée LAMA évoque l’association Linux, Apache, MySQL et ASP, il ne faut pas y prêter plus attention que cela. Plus intéressant est le système d’abonnement à des flux d’informations, sur la base de préférences émises par l’utilisateur : il n’est pas sans rappeler des systèmes qui ont existé par le passé, comme Netvibes ou Feedly. Les auteurs évoquent même le concept d’infotoxicomanie, à rapprocher de l’infobésité dont nous sommes les victimes.

Le livre évoque également une trouvaille technologique qui aurait très bien pu voir le jour : l’internit. Il s’agit d’un papier électronique, utilisable plusieurs fois. On y imprime électroniquement ce que l’on souhaite lire, puis on peut le rafraîchir avec de nouveaux contenus, évitant ainsi de consommer des tonnes de papier.

Autre appareil révolutionnaire, le GRAM, équivalent de nos clefs USB, capable de contenir quelques giga-octets de mémoire statique sans nécessiter d’alimentation.

Ce roman fait également preuve de pas mal d’à propos, en anticipant les problèmes liés à l’accès aux données privées. Bien sûr, il ne parle ni de cookies, ni de RGPD, mais il évoque un renforcement des lois sur le secret informatique.

Concernant les maladies, le livre mentionne la persistence de l’épidémie de sida, avec une centaine de millions de personnes encore contaminées en 2023, ce qui n’est pas loin du nombre exact en ordre de grandeur, un peu moins de de 40 millions aujourd’hui, selon le site ONUSIDA.

D’un point de vue du mode opératoire de l’IA, enfin, le livre n’évoque pas les réseaux de neurones, ni même les réseaux multi-couche, et se cantonne à l’usage de systèmes expertes. Mais des systèmes experts auto-apprenants, on est donc bien sur une forme d’auto-apprentissage. D’ailleurs, les résultats obtenus par l’IA sont associées à un degré de confiance, et ne sont pas toujours explicables.

Je m’arrête là. Si vous êtes un peu curieux, vous découvrirez plein d’autres appareils qui font aujourd’hui partie du quotidien du grand public ou des forces de police. C’est tellement étonnant, que je me suis même demandé si nombre d’entrepreneurs à succès de ce début de siècle ne s’étaient pas inspirés du livre…

Cet article vous a plu ? Pourquoi ne pas le partager ?