Le miroir des désillusions

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En cette période étrange que nous traversons, et qui voit l’essor durable de dirigeants aux profils durs, et la résurgence de tensions nationalistes, voici un livre d’un peu plus de 300 pages, qui apportera à ses lecteurs un peu plus de recul dans leurs jugements, notamment vis a vis de candidats ayant adopté chez nous, en France, il y a quelques mois à peine, des postures pour le moins surprenantes.

Sobrement sous-titré : « Les juifs de France et l’Italie fasciste (1922-1939) », Le miroir des désillusions est le fruit du travail minutieux mené par un historien, Jérémy Guedj, qui a analysé le regard porté par la communauté juive dans l’entre-deux-guerres, sur l’ascensions de Mussolini et la prise de pouvoir par les fascistes. S’appuyant sur de nombreux articles de la presse juive de cette époque, il expose les divergences initiales, entre une frange de la communauté qui ne pressent rien de grave, et une autre frange, plus minoritaire eu début, qui perçoit au début de manière imprécise, mais de plus en plus distinctement, les liens entre fascisme et antisémitisme.

Construit de manière chronologique, ce livre commence par exposer lieu l’univers des représentations de l’Italie, au sortir du premier conflit mondial. Dans ce pays unifié de fraîche date, la communauté juive a peu souffert, au fil des derniers siècles, contrairement à ce qui s’est passé dans de nombreux pays européens. Les juifs italiens, alors peu nombreux – environ un cinquième de la population juive française – sont relativement bien intégrés.

Dans les premiers temps, Mussolini – dont on apprend que la maîtresse était une juive italienne – s’inscrit dans cette même tradition respectueuse. Les juifs italiens sont des italiens presque comme les autres. Le régime fasciste s’attachera d’ailleurs à unifier leur statut, dans la suite des accords du Latran, modernisant tout un système de lois locales, dont certaines dataient de plusieurs siècles.

Intéressé par l’expansion d’un futur empire italien, Mussolini voit même d’un oeil conciliant le développement du sionismes. Après tout, si les juifs italiens pouvaient développer l’influence italienne au levant et faciliter le remplacement du Royaume-Uni par l’Italie dans la région, ce ne serait pas si mal. On voit donc apparaître au fil de la lecture un Mussolini si ce n’est sioniste ou philosémite, du moins absolument pas enclin à un regard négatif vis à vis de ses citoyens juifs. D’ailleurs, ceux-ci le lui rendent bien, et près de 20% des juifs italiens ont pris la carte du parti fasciste, qui est alors un point de passage obligé pour accéder à certaines fonctions. Mais rien n’augure d’un changement majeur de rapport entre le pouvoir et la communauté juive locale, et on voit encore, à cette époque, des ressortissants juifs italiens accéder à des postes à responsabilité, comme l’amiral Aldo Ascoli.

Les choses sont nettement plus complexes en dehors du territoire italien. En Libye, où l’Italie se comporte comme une puissance coloniale, le rapport entre l’autorité et les ressortissants juifs sont plus difficiles. Mais on pourrait très bien rapprocher les tensions inter-communautaires de ce qui a pu se passer en Algérie – relire à ce sujet le livre de Jacques Attali sur l’année 1943.

Tout bascule au milieu des années 30. L’expédition italienne en Éthiopie, puis le rapprochement entre l’Italie et l’Allemagne, vont faire basculer la communauté juive italienne dans un univers beaucoup plus dangereux. Les lois raciales de 1938, dont l’auteur rappelle, au travers des différents témoignages, leur filiation avec les lois allemandes, vont définitivement ouvrir les yeux des juifs français qui croyaient encore dans une certaine exception italienne…

En notre époque, disais-je, où une partie non négligeable de la communauté juive française est venue soutenir un candidat d’extrême-droite, il m’a semblé utile de proposer de saines lectures, comme ce livre de Jérémy Guedj.

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