Sélectionné

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J’ai toujours beaucoup de mal à apprécier les fictions historiques, surtout quand elles sont construites sur de bons sentiments. Les bons sentiments conviennent pour raconter des histoires, non pour mettre en scène l’Histoire. La pièce Sélectionné, où le chanteur Amir Haddad incarne le nageur juif Alfred Nakache, en est, hélas, l’exemple type.

L’histoire est peu connue du grand public, et le principal mérite de cette pièce est sans doute de rappeler que tout n’était pas rose pour les juifs sous l’occupation, n’en déplaise à Eric Zemmour. Alfred Nakache, né à Constantine en 1915, en a fait l’amer constat. Spécialiste du papillon, qu’on appelait à son époque « brasse papillon », Nakache s’est distingué tardivement, et explose littéralement dans les années 30, remportant plusieurs titres et battant plusieurs records, notamment en relais. Il participe même aux jeux olympiques en 1936 ainsi qu’en 1948, après son retour des camps.

Nakache, juif français né en Algérie et installé en France, connaît en effet un destin tragique. Dénoncé dans la presse après d’excellentes performances aux championnats de France de 1942, il est déporté fin 43 à Auschwitz, où il est séparé de son épouse et de sa fille, qui seront immédiatement éliminées comme tous les déportés considérés comme inaptes au travail. Traversant les épreuves, il revient en France et s’installe de nouveau à Toulouse, où il réside jusqu’à la fin de sa vie.

L’histoire de ce nageur, surnommé Artem, suffit à alimenter la pièce, qui dure un peu plus d’une heure. On y voit un Amir à l’aise dans un rôle taillé pour lui, chanteur d’origine nord-africaine dont la gouille évoque sans doute la physionomie du nageur.

Mais pourquoi avoir ajouté deux dialogues imaginaires, avec des compagnons d’infortune plus célèbres, comme Primo Levi ou Young Perez ? Ils ont certes résidé dans le même camp de concentration, mais rien ne dit qu’il y eut rencontre physique ou échange de points de vue entre eux. Je ne me souviens pas – mais je me trompe peut-être, ma lecture de Si c’est un homme remonte à plus de 30 ans – que Primo Levi évoque sa rencontre avec un nageur français. Et rien ne dit que Victor Perez est mort dans les bras de Nakache.

L’évocation des noms de ces deux autres figures tragiques aurait pu suffire à alimenter le scenario. Mais en imaginant, ou en laissant croire, que ces personnages ont partagé des moments en commun, Amir et son producteur Steve Suissa commettent, à mon sens, une faute : ils inventent une histoire dont on n’a pas de preuves tangibles.

Alors si le destin d’Alfred Nakache vous touche, oui, allez voir cette pièce.

Mais n’en faites pas une leçon d’histoire.

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