My Life as a Quant

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Voici un livre sur lequel je suis tombé par hasard: passant un weekend à Tel-Aviv, je logeais dans un hôtel doté d’une petite bibliothèque remplie de jeux de société et de livres, pour les vacanciers en mal de divertissement ou coincés dans leur chambre à cause des intempéries. Parmi ces quelques livres, je repérais immédiatement celui écrit par Emanuel Derman: My Life as a Quant.

J’ai toujours été surpris par ce terme: quant. Qui sont ces gens, souvent issus des meilleures écoles d’ingénieurs françaises? Ils sont censés apporter leurs compétences mathématiques pour développer des outils financiers de plus en plus performants, et on leur attribue, à tort ou à raison, certains travers du fonctionnement actuels des établissements financiers. La lecture de ce livre, pourtant paru avant le krach de 2008 et la crise des subprime, avait de quoi m’intéresser.

Je n’ai pas été déçu. Derman y raconte son histoire personnelle, celle d’un jeune juif sud-africain débarquant en 1966 à New-York pour venir y étudier la physique théorique et assouvir sa curiosité scientifique. Après une décennie ou presque passée dans l’univers de la recherche, il doit malheureusement déchanter: il ne sera pas le prochain Einstein. À dieu ne plaise, Derman sait saisir les occasions quand elle se présentent.

D’anciens collègues chercheurs, ayant fait le même constat que lui, avaient quitté le milieu de la recherche universitaire pour rejoindre des entreprises technologiques, il décide donc de suivre le même parcours et se retrouve au début des années 80 aux Bell Labs. C’est l’époque où l’informatique connaît de profonds bouleversements, avec l’apparition d’UNIX, de langages de programmation plus évolués que FORTRAN, d’une véritable approche scientifique de la programmation. Son esprit curieux va lui permettre d’acquérir de nouvelles compétences.

Pourtant, au bout de quelques années, nouvelles désillusions: le monde de l’entreprise (ou du moins celui d’AT&T) n’est pas celui qu’il imaginait… Le géant des télécoms, malgré ses nombreux succès, s’est transformé en une entreprise où règnent les luttes de pouvoir, au détriment de la démarche désintéressée et constructive qui anime les chercheurs qu’il a jusqu’à présent fréquentés (nonobstant la rivalité occasionnelle lorsqu’il s’agit de se voir décerner des honneurs…). Là encore, Derman va saisir de nouvelles opportunités au bon moment.

D’anciens collègues, anciens chercheurs eux aussi, sont passés de l’autre côté de la force et ont rejoint de grandes banques d’affaires. C’est l’époque où Wall Street s’ouvre aux technologies, et où les docteurs en physique, par leur capacité à modéliser et à mettre les mains dans le cambouis, commencent à être recherchés pour venir mettre leurs compétences au service de la modélisation d’un tas d’outils financiers: options, produits dérivés, etc. Emanuel Derman échoue ainsi chez Goldman Sachs où il va mettre tout son talent au service de l’ingénierie financière.

Récit captivant, qui couvre plus de trois décennies, My Life as a Quant donne à réfléchir sur les organisations et leurs modes de fonctionnement. Salarié impliqué mais réaliste, Derman porte un jugement sans compromis sur les entreprises et universités où il pose les pieds. Les lecteurs qui, comme lui, ont vécu cette période où tout semblait possible à ceux qui savaient manipuler un compilateur ou un script UNIX, s’y retrouveront totalement. Et ceux qui, comme lui, sont passés par de grandes entreprises devenues d’immenses bureaucraties inefficaces, retrouveront des travers bien connus et parfois évoqués dans d’autres articles de ce blog

Derman reste également parfaitement conscient des limites de la modélisation lorsqu’il s’agit d’instruments financiers, ainsi que du rapport entre traders et quants. Aux nombreux informaticiens, pardon data scientists, tentés par un passage dans le département quants de grandes banques ou d’autres institutions, ce livre fournira un éclairage passionnant sur l’aventure qui les attend.

My Lie As a Quant est également passionnant du fait des rencontres que retrace son auteur. Sans tomber dans un name dropping excessif, Derman illustre son parcours de rencontres étonnantes, comme celle avec Fischer Black (celui de la formule de Black & Scholes), ou celle, ultérieure, avec Bob Morton, qui donnent à ce récit un réalisme encore plus fort.

Deux défauts, cependant: Derman parle du CAC 30 là où je n’ai jamais entendu parler que de CAC 40. Erreur de relecture? Il évoque également l’apport de jeunes mathématiciens français, et notamment des anciens élèves de l’ENS pour l’élaboration de modèles financiers, oubliant de mentionner l’X, qui depuis les années 80 a constamment alimenté les de quants de nombreuses banques de part et d’autre de l’Atlantique. À corriger pour une prochaine édition?…

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