AlphaGo : quand l’intelligence artificielle devient autonome
A ce que je peux en lire ça et là, l’intelligence artificielle fait flipper pas mal de gens. C’est bien dommage. Car s’il est certain qu’il est plus facile de faire peur que de rassurer sur des sujets aussi mal expliqués, en tenant un discours aussi effrayant, on risque tout simplement de se tirer une balle dans le pied: l’essor de machines et de programmes de plus en plus intelligentes et de plus en plus autonomes fait partie de notre avenir à plus ou moins brève échéance, il va falloir s’y faire.
S’agit-il vraiment d’intelligence?
La première des questions à laquelle il faut répondre lorsqu’un de vos interlocuteurs s’inquiète de l’essor de l’IA, c’est que derrière ce terme intelligence se cache une réalité beaucoup plus banale qu’on ne le croit. Les machines et programmes dont on parle ne sont pas intelligents au sens où on l’entend de la plupart des individus. Ils n’ont pas d’intelligence émotionnelle, ne sont pas des créatifs au sens où on l’entend, ont peut d’imagination, et, comme l’évoquait Philip K. Dick dans Blade Runner, ne rêvent pas. Une machine est éveillée ou éteinte, le soi-disant mode veille ne correspond qu’à un mode économie d’énergie. Une machine ne réalise que ce pour quoi elle a été programmée. L’intelligence artificielle est, en l’occurrence, bien artificielle.
C’est dans les vieilles casseroles qu’on fait les meilleures soupes
Cet adage bien connu me semble caractéristique de l’essor de l’IA ces dernières années. Malgré mon DEA datant de la fin des années 80 dans ce domaine, je ne garde qu’un regard superficiel sur les techniques d’intelligence artificielle. Et je constate que les approches actuelles sont plus des évolutions de celles envisagées à l’époque, plutôt que des révolutions majeures. Systèmes experts et réseaux de neurone, étaient déjà à l’oeuvre au début des années 90. La différence porte d’une part sur l’étendue des moyens et des données dont on dispose. Un monde sépare un PC des années 90 d’une machine aussi « simple » qu’un smartphone sous Android: mémoire vive, puissance de la CPU, capacité de stockage, tout a évolué de plusieurs ordres de grandeur. Mais aussi sur d’innombrables perfectionnement, qui ont permis de populariser les usages de l’IA à coup de bibliothèques open source, de librairies à télécharger et de jeux de données à réutiliser (lire là-dessus l’excellent livre blanc d’Olivier Ezratty). Du coup, on peut faire fonctionner plus rapidement des programmes qui travaillent sur plus de données. Les techniques d’apprentissages en bénéficient de manière significative: on ne raisonne pas de manière aussi efficace quand on s’appuie sur mille exemples ou sur un million.
Le Go, pas si facile que cela pour un homme, alors pour un ordinateur…
On se permet de ces choses…
Cette explosion de puissance et de données permet d’envisager des choses encore pus extraordinaires. Prenons le cas d’AlphaGo. En 2016, ce programme battait l’un des meilleurs joueurs de Go au monde, en s’appuyant sur une technique d’apprentissage somme toute assez classique: enregistrer les résultats de milliers de parties de Go. On alimente d’autres simulateurs de jeu de la même manière, par exemple aux échecs avec des bibliothèques d’ouvertures.
Mais là où les chercheurs ont innové, c’est en éduquant AlphaGo d’une nouvelle manière, en le faisant jouer des milliers de fois contre lui-même. C’est un peu comme Le joueur d’échec de Stefan Zweig, qui se perfectionne en jouant seul. Le résultat est étonnat: cette seconde mouture serait encore plus forte que la première. Débarrassée des techniques humaines, notre programme joue à sa manière, et devient encore plus redoutable. L’intelligence artificielle est devenue autonome.
Vraiment? Non, bien entendu. Ce n’est pas AlphaGo qui a décidé tout seul de changer de méthode d’apprentissage. Il n’est pas comme l’étudiant qui, ayant échoué à ses examens une première fois, décide de les passer une seconde fois, mais en changeant sa méthode de révision. AlphaGo dépend de la programmation d’un être humain, qui est là pour lui dire ce qu’il doit faire. Il le fait, simplement, encore mieux qu’un être humain, mais il n’est pas encore celui qui décide de changer de méthode. Pour l’autonomie, on repassera.
Amis humains, cessez de faire tout un plan de l’intelligence artificielle et des menaces supposées planer sur l’humanité. Tant que nous sommes maîtres du bouton On/Off, tout se passera bien…
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec