Est-ce la fin du développeur junior, vraiment ?
Lors d’une discussion sur l’IA générative et les LLM avec un de mes anciens collègues qui a rejoint un grand cabinet de conseil il y a quelques années, la discussion s’est rapidement orientée sur la génération de code assistée par l’IA. Je n’y avais pas prêté un oeil très attentif lors de mes premiers pas avec ChatGPT, mais j’en suis devenu un utilisateur régulier depuis quelques mois. Je l’ai déjà évoqué dans un précédent article consacré à l’analyse des données de courses sur Strava, mais il y a de nombreuses autres situations où je suis amené à demander à ChatGPT de m’écrire des petits morceaux de code Python, de quelques centaines de lignes.
Des délais de développement divisés par 20 !
Bien sûr, je pourrais très bien m’en passer, et écrire moi-même ces scripts. Cela ne me poserait aucun problème, ces scripts ne faisant pas appel à des algorithmes complexes. Il s’agit essentiellement de programmes chargés d’extraire des données depuis une ou plusieurs index Elastic Search ou d’API publiques (comme récemment avec Sefaria, merci Nessim), de traiter les données extraites et d’en générer des rapports, soit graphiques en utilisant Tkinter (la librairie Python de Tcl/Tk), soit plus simplement de générer un fichier csv voire Excel au cas où le volume de données extraites nécessiterait la présences de filtres.
Rien de très compliqué, cela ne me prendrait qu’une heure ou deux pour écrire de tels scripts. Mais avec ChatGPT, cela me prend entre une et cinq minutes environ, selon la qualité du code produit. Soit un délai de développement divisé par 20 environ. Avouez qu’on aurait tort de s’en passer. Surtout que cela m’évite parfois de passer des heures à essayer de comprendre le format de données extraites par les API à l’API considérée (merci Nessim), un format dont la mémorisation ne m’apporterait pas grand chose sur le long terme.
En en discutant avec l’ami dont je parlais au début de cet article, j’ai fini par reconnaître que finalement, avec ChatGPT, je disposais non pas d’un, mais d’une multitude de stagiaires serviables et corvéables à merci, disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans convention de stage, sans délai d’apprentissage, et autonomes sur une multitude de sujets. Et tout cela, pour la modique somme de 20 euros par mois. Pourquoi s’en priver ?
La fin du développeur junior
C’est alors que cet ami, dont j’ai toujours admiré la finesse d’analyse et les vastes connaissances aussi bien pratiques que théoriques (c’est un normalien, ceci explique peut-être cela), a rebondi en m’expliquant que le constat que je faisais, plein d’autres personnes l’avaient fait avant moi, dont des chercheurs qui en avaient même élaboré une conclusion qui fait froid dans le dos : nous serions entrés dans l’ére de la fin du développeur junior. Rien que ça !
Un petit frisson glacé me parcourut alors l’échine. Le même petit frisson que l’on ressent quand on vous dit que vous êtes le dernier rejeton de votre espèce, le dernier des Mohicans. Contrairement à ce que vous croyez, on ne tire aucune fierté de ces moments là, au contraire, on se dit que c’est la fin d’une époque, et qu’on est en train de basculer dans l’inconnu. Bref, ça fait peurrrrrr.
Parce que développeur junior, je l’ai été. Oh, c’était il y a fort longtemps, et je l’ai déjà évoqué il n’y a pas si longtemps. Et même si c’était il y a fort longtemps, j’en ai gardé d’excellents souvenirs, qui me poussent souvent à radoter sur ce blog en parlant de programmation et de langages informatiques. Bref, quand on m’annonce que c’est la fin du développeur junior, j’ai l’impression d’être, moi aussi, un des derniers Mohicans.
Rassure-toi, me dit alors mon ami, d’autres chercheurs sont allés plus loins dans la théorisation de la fin des métiers, comme dans l’article suivant, qui parle de la fin des juniors dans d’autres métiers.
Je suis sorti perplexe de ce déjeuner entre anciens collègues. Parce que si les juniors se mettent à disparaître dans un tas de métiers aussi divers et variés que le conseil, le droit ou l’informatique, comment fera-t-on pour disposer de seniors dans ces mêmes professions dans quelques années ? Après tout, un senior est juste un junior avec quelques années d’expérience en plus, n’est-ce pas ?
Est-ce la fin du début ou le début de la fin ?
Pourtant, après quelques semaines de réflexion, j’ai fini par me faire une raison. Ce sera sans doute la fin d’une catégorie de juniors, sans aucun doute, mais pas de tous les juniors. En réalité, la disponibilité de ces esclaves modernes que sont les LLM, à des tarifs défiant toute concurrence, va permettre la disparition d’une catégorie de juniors bien précise : celle des juniors qui ne persisteraient pas de toute façon dans le métier considéré.
On en e tous connus, des juniors de cette catégorie là. Ils se sont orientés vers le droit ou l’informatique pour des raisons variées, mais qui sont toujours de mauvaises raisons : l’argent, le manque d’ambition, la pression familiale, tout un tas d’autres raisons sauf la bonne : la passion. Ils formaient peut-être des armées de juniors, mais des juniors de piètre qualité, de ceux qui ne deviendraient jamais des seniors, et surtout pas des seniors de quallité.
Au contraire, les véritables futurs seniors, eux, profiteront de la richesse de aides fournies par les LLM. Et iront encore plus loin. La richesse et la disponibilité sans limite n’auront pas l’effet inverse, souvent mis en avant par les détracteurs de ces outils, dont ils déplorent la facilité avec laquelle ils produisent leur résultat, qui nous pousserait à devenir plus paresseux…
C’est tout le contraire qui se produira. Nous consulterons de plus en plus de données – dans mon cas de programmes – d’excellentes qualités, sans pour autant qu’ils nous remplacent ou limitent l’acquisition d’expérience. Je me souviens très bien que dans ma jeunesse, j’ai appris à programmer et à utiliser une multitude de langages par un apprentissage progressif, en regardant d’autres bouts de code, en les copiant et en les adaptant, voire en les corrigeant.
C’est exactement ce qui se passe avec ChatGPT. Il est hors de question de lui confier la totalité de la réalisation et la maîtrise d’ouvrage. Mais on peut s’appuyer sur son aide pour renforcer la qualité de la production finale à condition d’être capable de le relire et de le corriger.
Alors la fin des juniors ? Pas si sûr que cela. Ou du moins, la fin des mauvais juniors.
Les bons, eux, ont encore un avenir radieux devant eux.
NB: le sujet évoqué sur cet article a intéressé pas mal de monde, ces derniers temps. Vous pouvez aussi retrouver le point de vue de Bertrand Duperrin ou Carlos Diaz.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec