Connaissez-vous Marcus Klinberg ?

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France 5 diffusait il y a quelques jours un documentaire intrigant, sur la vie de Marcus Klinberg. Peu connu de ce côté-ci de la Méditerranée, ce personnage méritait pourtant qu’on s’y intéresse de plus près, tant les contradictions qu’il véhiculait sont représentatives des maux du siècle dernier. Klinberg a, en outre, finit ses jours en France et ses cendres reposent au Père-Lachaise.

Marcus Klinberg, ou l’histoire d’une Alyah compliquée

Marcus Klinberg est un médecin et épidémiologiste juif polonais, né en Pologne à la fin du premier conflit mondial, au sein d’une famille pratiquante. Lorsque qu’éclate la seconde guerre mondiale, ses parents le poussent à s’exiler en Russie, où il prendra des responsabilités de médecin au sein des forces armées. Quand il retourne en Pologne à la fin de la guerre, il est le seul survivant de sa famille. Il se marie, puis après un court passage en Suède, fait son Alyah.

Son expérience lui permet de rapidement monter en grade au sein de Tsahal, toujours en médecine militaire. Lorsqu’il quitte l’armée, il rejoint alors un institut de recherche national, qui sert au jeune état à développer ses propres études sur les armes chimiques ou bactériologiques. Il y officie là encore avec un haut niveua de responsabilité, jusqu’à son arrestation, au début des années 80 : Klinberg est alors accusé d’avoir livré des secrets importants sur les travaux menés à Ness Ziona, à une puissance étrangère : l’URSS.

Un personnage complexe

S’il reconnaît les faits, Klinberg refuse en revanche d’être considéré comme un espion du KGB. Et c’est ce que laisse transparaître assez clairement le documentaire, basé sur une série d’interviews réalisés avec Klinberg au début du siècle, où il justifie son comportement sur une base éthique, un idéal qu’il a suivi jusqu’au bout.

Il ne faut pas être naïf pour autant. Israel était, et est toujours, entouré d’états qui menacent son existence, et n’ont pas hésité à faire usage des armes sur lesquelles Klinberg menait ses propres travaux. La Syrie, rappelons-le, n’a pas hésité à gazer sa propre population durant le printemps arabe, en 2013. Mais contrairement à l’arme nucléaire, l’arme bactériologique ou chimique n’est pas une arme de dissuasion : sa possession n’est pas une menace absolue, qui signifie « pas touche à mon intégrité nationale », mais juste un savoir faire comme un autre, particulièrement horrible dans son mode opératoire.

Il y a finalement quelque chose à la fois de tendre et de terrible, dans le comportement de Klinberg. Il n’a pas livré de secret pour de l’argent ou par chantage, mais au nom de valeurs, des valeurs au nom desquelles il était prêt à prendre des risques insensés, jusqu’à y impliquer sa propre famille. Paradoxalement, cela me paraît compréhensible, dans le contexte des années 50. La création de l’état d’Israel, alors que le peuple juif vient de frôler la catastrophe qui aurait pu mettre fin à son existence, se fait au nom de valeurs et d’une morale véhiculées à la fois par la religion, la tradition et la culture juive.

Des questions toujours ouvertes

Quand un individu comme Klinberg, éduqué dans un univers pratiquant, se retrouve à mener des travaux sur des systèmes de défense à base de procédés bactériologiques, alors que de telles armes sont officiellement prohibées à l’échelle internationale, il fait face à une dissonance cognitive. Comment cet état, basé sur des valeurs humanistes, peut-il lui demander de mettre ces valeurs de côté, au nom de la force et de la puissance de l’état, valeurs que Leibowitz qualifiait de « poing juif » ? Comment concilier un idéal humaniste avec des actes qui le sont beaucoup moins ? Jusqu’où peut aller la défense nationale et l’intérêt commun ? Et où se trouve ma propre responsabilité morale ? En somme, l’histoire de cet espion absolu, dont le nom était caché du grand public, soulève des problèmes moraux qui feront encore longtemps objet de débats.

Marcus Klinberg et la France

Enfin, comme évoqué plus haut, un lien particulier unit Klinberg à la France, où il vécut de sa sortie de prison jusqu’à la fin de sa vie. Sa fille Sylvia, activiste de gauche, y a aussi vécu, et a donné naissance à un fils, Ian Brossat, conseiller municipal à Paris, et depuis quelques années porte-parole du parti communiste.

Comme on dit souvent, la pomme ne tombe pas loin du pommier…

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