Urgence statistique

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C’est une information publiée par le Washington Post, et reprise par un journaliste de Radio France hier matin, et dont j’ignore le nom, qui m’a le plus frappé cette semaine. Ce journaliste l’exposait ainsi : 4 américains sur 10 vivent dans des états frappés par des catastrophes naturelles en 2021 ! Vous vous rendez compte ? 4 sur 10, soit 40%. C’est énorme ! Choquant, comme diraient les jeunes d’aujourd’hui, oubliant l’utilité du verbe « surprendre » au profit du verbe « choquer », mauvaise traduction du shocking anglais…

Aussitôt, je suis allé chercher la source de cette information, que j’ai trouvée sur le site même du journal américain, avec une jolie carte des endroits concernés. On y apprend d’ailleurs qu’il s’agit de contés plus que d’états, selon la terminologie utilisée, et que les américains préfèrent utiliser un pourcentage, 40%, qu’une fraction, 4 sur 10. Je ne sais différencier l’impact psychologique de l’un de ces deux formats équivalents. Mais je me suis tout de suite trouvé confronté à une série de questions que je partage avec vous dans les lignes qui suivent, juste après la carte.

Source : Washington Post

Cette proportion peut paraître surprenante, mais l’est-elle réellement ? Le fait de vivre dans un conté, a fortiori dans un état, concerné par une catastrophe est-il réellement un signe d’une plus grande fréquence de tels phénomènes ? Quelles statistiques seraient sorties d’une telle analyse similaire livrée en 1960, 1920 ou 1880 ? Si un statisticien lit ces lignes et veut bien y répondre, j’en serais ravi.

Mais je crois tout simplement que de telle données n’existent pas, parce qu’on ne les a pas collectées. Aujourd’hui, nous vivons à une époque où l’urgence climatique occupe une place importante, dans les esprits et dans les politiques publiques. C’est une bonne chose. Mais cela conduit à collecter plus d’informations qu’auparavant sur de tels phénomènes. Si autrefois on se contentait de noter que tel ou tel incendie, tel ou tel tremblement de terrer avait fait des centaines ou des milliers de victimes, on ne comptabilisait pas forcément l’ensemble des catastrophes sur une seule année.

À cela, il faut ajouter la déformation induite par la taille. Les États-Unis d’Amérique s’étendent sur un territoire d’un peu moins de 10 millions de km2. Soit environ 18 fois la France. La population américaine ne s’étale pas sur tout le territoire, mais les progrès technologiques aidant – communication, transport, santé – il est devenu plus facile de s’installer dans des coins perdus, parfois au péril de sa vie. Une catastrophe qui toucherait une famille vivant dans un tel coin perdu conduirait ainsi à comptabiliser l’ensemble de la population du conté concerné dans le calcul publié par le Washington Post.

Vous voyez où je veux en venir ? La taille de la loupe agit sur le raisonnement. Si on s’intéresse par exemple à l’Allemagne, dont la superficie la classerait au 5e rang des états américains, derrière l’Alaska, le Texas, la Californie et le Montana, et bien un raisonnement comme celui du Post mènerait à la conclusion suivante : 100% des Allemands vivent dans un pays qui a connu une catastrophe naturelle en 2021 – des inondations majeures, qui ont touché ce pays ainsi que la Belgique.

100%. Non pas 40%, mais la totalité.

Pire, 100% de l’humanité vit dans des continents concernés par des catastrophes natruelles liées aux changements climatiques.

Avec de telles statistiques, il y a urgence, non ?

Urgence à faire un peu plus de stats et de probas à l’école, surtout.

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