Roe vs. Wade

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Déjà parti sur des bases plus que douteuses, le 21e siècle est en train de prendre une tournure grotesque dans un certain nombre de pays démocratiques, et notamment aux Etats-Unis avec l’annonce de la prochaine remise en cause d’un arrêt de la Cour Suprême datant d’un demi-siècle : l’arrêt Roe vs Wade. Pour comprendre l’impact d’une telle nouvelle à l’échelle de ce pays, imaginez un peu qu’en France, on abroge la loi Veil. Quelles seraient les réactions ? Une fracture du pays en deux blocs antagonistes, l’un rétrograde, l’autre commençant à se demander dans quel monde nous vivons.

Qui sont Roe et Wade ?

Roe vs. Wade, quel drôle de nom n’est-ce pas ? C’est en lisant Freakonomics, le premier livre de Steven Levitt et Stephen Dubner, que j’ai découvert cet arrêt historique. Ces deux auteurs, l’un journaliste et l’autre chercheur en économie, ont choisi d’analyser la « face cachée » d’une multitude de sujets. Et c’est dans leur premier livre, qui s’intitule justement Freakonomics, qu’ils abordent l’impact de Roe vs. Wade sur la société américaine. Il faut lire la table des matières de ce livre pour bien comprendre la démarche des deux compères.

Chapitre 1 : Quel est le point commun entre les enseignants et les lutteurs de Sumo ?

Chapitre 2 : Pourquoi le Ku Klux Klan ressemble-t-il à un groupe d’agents immobiliers ?

Chapitre 3 : Pourquoi les dealers de drogue vivent-ils encore chez leur mère ?

Chapitre 4 : Où ont disparu tous les criminels ?

Chapitre 5 : Qu’est ce qu’un parent idéal ?

Et ainsi de suite. À mis chemin entre économie et sociologie, chaque chapitre s’appuie sur les travaux d’économistes qui ont eu une approche originale, en posant des questions que peu de gens se posent, d’un point de vue économique.

C’est justement le chapitre 4 qui aborde l’arrêt Roe vs. Wade. Wade, c’est Henry Wade, le District Attorney de Dallas dans les années 60. Il a eu deux occasions de briller. La première, c’était à a mort du président Kennedy, à deux pas de son bureau. Mais Jack Ruby en a décidé autrement. La seconde, c’est justement l’arrêt qui nous intéresse.

Roe, c’est Jane Roe, un pseudonyme derrière lequel se cache une jeune femme, Norma McCorvey. Née en 1947 de parents divorcés dont un père violent, évoluant dans un milieu défavorisé, mère de deux enfants déjà à 18 ans, enfants donnés en adoption, elle se retrouve enceinte une 3e fois à l’âge de 21 ans. Mais dans le Texas de ces années là, l’avortement n’est pas autorisé sauf pour des raisons gravées, mettant par exemple en danger la santé de la mère, ou en cas de viol. Seul cinq états, à cette époque, ont légalisé l’avortement : New-York, la Californie, Washington, l’Alaska, et Hawaii.

Norma McCorvey essaie de faire passer sa grossesse non désirée pour un viol, mais ça ne marche pas, et le dossier est rejeté. C’est alors que deux avocats vont se saisir de cette affaire, et mener une action collective, comme les avocats savent si bien le faire aux Etats-Unis. Et dans cette Amérique des années 70, où le parti Républicain est pourtant au pouvoir mais où les idées progressistes ont fait leur chemin, sur fond de lassitude de la guerre au Vietnam, ça marche ! La Cour Suprême publie son arrêt historique, celui-là même que la même Cour, cinquante ans plus tard, sous la pression de membres placés par Donald Trump, veut annuler.

Et quel est le rapport avec l’économie ?

C’est vrai ça, quel est le rapport avec Freakonomics ?

Et bien imaginez-vous que Levitt et Dubner, dans ce 4e chapitre, formule une idée assez étonnante. Alors que le nombre de crimes n’a cessé d’augmenter dans les années 70 et 80, on constate une décroissance importante des actes délictueux au début des années 90. Les deux auteurs posent alors la question : qu’est ce qui a provoqué cette décroissance ? Est-ce une police plus efficace ? Un accroissement des effectifs des forces de police ? Un contrôle plus important des ventes d’armes ?

Rien de cela.

La véritable raison, nous expliquent-ils, c’est l’effet induit par l’arrêt Roe vs. Wade. En rendant l’avortement légal, cet arrêt a permis la non naissance de milliers d’enfants non désirés, qui seraient nés dans des familles habitant le plus souvent dans des quartiers pauvres et défavorisés, abandonnés à eux-mêmes dès l’adolescence, confrontés à l’alcoolisme ou à la drogue, et donc plus à même de basculer à la fin de l’adolescence vers la violence et le crime.

C’est le fameux effet papillon. Une décision qui paraît anodine, et qui a des répercussions bien plus importantes qu’on ne le croit. cette fois là, des répercussions positives.

Il serait cocasse de constater l’effet inverse dans une vingtaine d’années.

Les trois juges nommés par Donald Trump, âgés de 50 à 57 ans, seront probablement encore en vie pour voir de leurs yeux à quoi cela peut conduire.

Il n’est peut-être pas trop tard. Il est encore temps de leur envoyer un exemplaire de Freakonomics…

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