Rise and Kill First

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En cette soirée de commémoration des 20 ans des attaques du 11 Septembre, permettez-moi de vous recommender un livre. Et quel livre ! Raise and kill first est un ouvrage qui fera référence. En plus de 700 pages, son auteur, Ronen Bergman, offre une vue d’ensemble d’un des aspects majeurs du conflit israelo-arabe : la stratégie d’élimination ciblée mise en place par l’état d’Israel très tôt dans sa jeune et pourtant dense histoire.

À l’origine de la démarche

À l’origine de cette stratégie, il y a d’abord un problème de moyens. Le foyer national juif de la fin des années 40 n’est doté que de peu de moyens, et d’une population faible par rapport à ses adversaires. Ben Gourion comprend vite que pour éviter de lourdes pertes, il vaut mieux frapper fort à la tête des états et des armées auxquels il doit faire face, que prendre le risque de longs conflits.

Pour cela, il va créer une structure centrée autour de trois « services » : le Mossad pour les opérations extérieures, le Shin-Bet, connu en Israel sous le nom de Shabak, pour les opérations à l’intérieur, et AMAN pour le renseignement. Ces trois services, initialement indépendants de Tsahal, ont pour objectif de repérer les menaces potentielles, d’imaginer les moyens de les neutraliser, et de mener les opérations si un plan est adopté.

De plus, pour diriger ces services, Ben-Gourion va s’appuyer sur des hommes exercés aux actions clandestines : certains des hommes des groupes considérés comme des terroristes par les forces anglaises avant leur évacuation., l’Irgoun et le groupe Stern.

L’histoire avec un grand H

Raise and kill first va donc raconter l’histoire des ces organisations, leurs rapports avec l’appareil politique d’une part, et l’appareil militaire, le type de menaces auquel l’état d’Israel a dû faire face pendant les 70 premières années de son existence – le livre ne couvre pas la période 2012-2020 – et les moyens mis en place pour les contrer. Inutile de vous dire que c’est passionnant. Même si de nombreux faits sont connus – l’histoire d’Elie Cohen, l’attentat contre les athlètes israéliens à Munich en 1972, la prise d’otages à Entebbe, l’invasion du Liban, la guerre en Irak ou les deux intifadas, Ronen Bergman offre une perspective peu commune, loin de ce que peuvent raconter les medias, qu’ils soient favorables ou non aux israéliens.

Car pour raconter cette histoire, l’auteur s’appuie sur un matériau rare : les témoignages d’anciens agents et d’anciens cadres des services israéliens. Meir Dagan, notamment, s’est longuement épanché vers la fin de sa vie, déçu par la fin de sa carrière et ses relations exécrables avec Benjamin Netanyahou. Figure mythique aussi bien de Tsahal que du Mossad, Dagan, comme Ehud Barak et d’autres protagonistes du livre, ont été des acteurs essentiels au niveau de la prise de décision tout aussi bien que des opérations sur le terrain.

L’éthique des éliminations ciblées

Le livre aborde de nombreux sujets qu’on pourrait considérer comme délicats ou difficiles. Sans dévoiler de secrets d’états inattendus, il expose avec le même niveau de détails aussi bien les opérations réussies que les échecs patents, notamment lors de ces 20 dernières années. On y découvre l’évolution progressive de la philosophie d’intervention, limitée à des opérations plutôt rares et « blanc-bleu », au départ, et dont le nombre va progresser de manière incroyable au début du siècle, au fur et à mesure que les moyens technologiques le permettent, et par le biais d’auxiliaires volontaires ou non.

Le livre aborde bien sûr le sujet le plus délicat : la question morale de l’élimination ciblée d’un adversaire. Le titre du livre le rappelle bien, tuer l’ennemi qui vient nous tuer est une obligation quasi religieuse. Militaires ennemis sur le théâtre des opérations ou terroristes se préparant à un attentat dans un autobus, ce n’est pas là que se jour la différence. La question se pose lorsqu’il s’agit d’éliminer des personnes participant de manière indirecte à un attentat : un chauffeur, une famille qui héberge le terroriste la veille, celui qui convoie les explosifs. On découvre ainsi que le Mossad dispose d’une sorte de Chief Philosophy Officer, tout comme de conseillers juridiques, pour cadrer la possibilité ou non d’intervenir.

Tout cadre militaire devrait lire ce livre

Ce qui n’empêche pas certains cadres militaires de se poser des questions, et parfois même de refuser des ordres. Le livre revient sur certains épisodes à ce sujet. Et rappelle que, quelle que soit la décision à prendre, elle n’et que rarement le fait d’un seul homme, mais découle d’un processus parfois long, qui demande l’approbation des plus hautes autorités, ne serait-ce que pour peser l’opportunité politique du timing ou de la cible d’une telle opération.

Bref, Raise and kill first est un livre passionnant qui devrait intéresser non seulement ceux qui s’intéressent au conflit israelo-arabe, mais toute personne amenée à réfléchir dans le cadre du système de défense d’un état, à l’heure où les menaces terroristes sont devenues le fait des grandes démocraties comme celui d’états plus autoritaires.

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