Mike Lynch
Mike Lynch a connu une gloire posthume dont il se serait bien passé, suite au naufrage de son voilier, le Bayesian, en mer Méditerranée la semaine passée. Un naufrage qui a coûté la vie à Mr Lynch ainsi qu’à six autres personnes, dont sa fille, et dont les médias ont fait leurs choux gras, le qualifiant de « Bill Gates anglais », un titre largement exagéré au regard de sa fortune, quand on la compare à celle du fondateur de Microsoft, ainsi qu’à son impact mondial. Car si Bill Gates a révolutionné l’informatique mondiale, alors que Mike Lynch n’a fait qu’un formidable deal en vendant une start-up technologique à un gros acteur de l’informatique…
Si je ne connaissais pas personnellement Mr Lynch, il se trouve que je me suis intéressé de près à sa première entreprise, Autonomy, durant les premières années de ce siècle. Autonomy, rachetée à prix d’or par HP en 2011, faisant en effet partie des entreprises dont la technologie me semblait se rapprocher de celle d’EasyGlider : l’indexation et la classification de gros volumes de données multimedia, sur la base de modèles mathématiques. Si l’approche d’EasyGlider consistait à créer des clusters de données à partir de réseaux de neurones, celle d’Autonomy s’appuyait, selon le discours marketing développé par l’entreprise à cette époque, sur l’usage de la formule de Bayes – d’où le nom du yacht de Mike Lynch, le Bayesian.
La formule de Bayes, vous la connaissez, bien évidemment, c’est celle des probabilités conditionnelles :
P(A|B).P(B) = P(B|A).P(A)
Autrement dit, la probabilité de A sachant B fois la probabilité de B est égale à la probabilité de B sachant A fois la probabilité de A. Son usage est simple mais souvent négligé par les élèves, alors que son impact est majeur, notamment dans des énigmes comme le problème de Monty Hall, inspiré de ce jeu télévisé où le joueur est placé devant trois portes fermées, et on lui indique qu’une voiture est cachée derrière une des portes. Le joueur désigne alors une porte à ouvrir. Le présentateur ne l’ouvre pas, mais ouvre une des deux autres portes (pas celle qui cache la voiture). Que doit alors faire le candidat pour trouver la voiture, conserver son choix initial ou ouvrir l’autre porte ?
Et bien c’est sur la généralisation de ce principe que se basait Autonomy pour proposer classer des documents par similarité, en se basant sur des probabilités d’occurrence de termes.
Ayant dû quitter EasyGlider prématurément pour retourner chez Dassault Systèmes, j’ai perdu de vu Autonomy pendant quelques années, jusqu’à ce que cette société fasse parler d’elle, lors d’un rachat spectaculaire par HP, en 2011. Le montant déboursé par HP – 10 milliards de dollars – me semblait largement exagéré, en regard des montants de rachats d’entreprises technologiques sur des domaines similaires, comme le rachat d’Exalead par Dassault Systèmes pour le centième environ du montant déboursé par HP.
D’ailleurs, HP ne tarda par à passer des provisions pour dépréciation, pour un montant de près de 8 milliards de dollars. HP entama des poursuites conte Mike Lynch et certains de ses collaborateurs, les accusant d’avoir frauduleusement exagéré la valeur de l’entreprise lors de la transaction, et c’est la fin de ce long procès, qui tourna à l’avantage de Lynch, que ce dernier fêtait avec quelques collaborateurs et proches sur son voilier quand la tempête le fit chavirer.
Moralité : un spécialiste des probabilités conditionnelles devrait toujours faire la fête sur la terre ferme.
On ne sait jamais ce qui peut arriver…
Découvrez d'autres articles sur ce thème...
Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec