Le livre numérique, héros de l'année 2010?
Le monde de l’édition est en ébullition: après la musique et le cinéma, après la banque, après le presse, le couple infernal que constituent Internet et la numérisation des données est en passe de pénétrer le monde très feutré du livre et de l’édition. Après un premier débat sur l’offensive de Google pour numériser les fonds des grandes bibliothèques, Le Monde vient de consacrer un dossier au livre numérique: e-book, lecteur numérique, Kindle et Nook, autant de termes qui épouvantent la plupart des grandes maisons d’édition française. Antoine Gallimard, Bruno Racine (BNF), Rémy Toulouse (Les Prairies ordinaires), Arnaud Nourry (Hachette Livre) et Arash Derambarsh (Cherche Midi) nous y livrent leur point de vue. Entre le catastrophisme lyrique du premier, et l’utopisme du dernier, que penser?
L’irruption du livre numérique était, à mon avis, chose prévisible. Avant même que le partage de fichiers musicaux ou de vidéos pirates de démontre à quel point la numérisation des données pouvait perturber un marché qui ronronnait doucement. La véritable question était: quand? Il fallait, pour cela, qu’apparaisse, comme pour la musique ou la vidéo, des lecteurs portables, dotés d’une réelle autonomie, et dont les fonctionnalités conviennent aux utilisateurs potentiels.
Le Kinde d’Amazon et le Nook de Barnes & Noble remplissent admirablement ce cahier des charges assez simple: ils ne sont pas les seuls, Sony commercialise également des lecteurs numériques depuis un certain temps. Le plus surprenant, en fait, c’est le temps qu’il aura fallu pour qu’émergent ces plateformes. C’est la combinaison entre un lecteur et un système de distribution rodé – celui d’Amazon – qui a véritablement permis l’essor de ce type d’appareil.
La lecture numérique présente, pour les apparatchiks de l’édition classique, plusieurs risques, grosso modo de trois types: le piratage, la chute des prix, la lente disparition du droit d’auteur.
- Le piratage: un livre n’est ni un CD ni un DVD. Alors que consommer de la musique ou un film ne requiert aucun effort, la lecture est une tâche qui demande une certaine concentration, qui ne se fait pas à plusieurs, et requiert, parfois, un certain confort. Certes, les sites de partage proposent depuis fort longtemps des planches de diverses bandes dessinées numérises, mais le confort de lecture, que ce soit sur un PC ou un lecteur portable, ne permet pas l’explosion de cette forme de piratage: le livre numérique, pour être apprécié, requiert un nouvel effort de mise en page, fort simple pour de la prose ou de la poésie, plus difficile pour la BD. Je ne pense donc pas que le risque de piratage par numérisation soit réel. Cependant, il ne faut pas être naïf: une fois que les lecteurs de livres numériques auront connu un certain succès, des gens peu scrupuleux s’intéresseront aux systèmes de protection des données échangées, voire des plateformes de lecture elles-mêmes, pour l’instant encore hermétiques. Mais là encore, je ne prévois pas une véritable explosion de la « piraterie du livre numérique ».
- La chute des prix: c’est un risque réel. Pourquoi payer le même prix pour un livre numérique que pour un livre imprimé? Publier un livre imprimé présente des couts classiques d’impression et de diffusion, qui disparaissent pour le livre numérique. Les maisons d’édition prennent-elles le consommateur du 21e siècle pour un gogo? Les fournisseurs de livres numériques l’ont déjà compris: O’Reilly propose déjà un rabais de 40% sur les livres numériques commandés sur son site. Barnes & Noble propose un rabais très intéressant si l’on opte pour l’achat d’eBooks. Les Gallimard et autres Hachette feraient bien d’intégrer ces données là à leur futurs business plans…
- La disparition du droit d’auteur: c’est une question qu’il faut bien se poser. Si je ne crois pas à la disparition du droit d’auteur, il faut bien reconnaître que son suivi risque d’être plus flou. En allant télécharger quelques livres de Jules Vernes, de Tchekov et de Shakespeare via Stanza sur mon iPhone, je me suis demandé qui mettait ces ouvrages à la libre disposition du grand public. Font-ils partie du domaine public? Sont-ils libres de droits? J’en doute…
Les craintes formulées par les grandes maisons d’édition ne doivent pas non plus effacer les risques qui menacent … le livre numérique. Pour ma part j’en vois trois: le désintérêt pour la lecture, le flop commercial, et l’absence de diversité.
- C’est un fait: de plus en plus de gens lisent, mais de moins en moins. Comme le relatait Le Monde il y a quelques semaines, le nombre des lecteurs progresse, mais le nombre des solides lecteurs régresse. Lire est bien moins simple que de regarder la télévision, surfer sur le net, ou d’autres passes-temps. Ce désintérêt pour les formes écrites difficiles d’accès se manifeste également pour la presse, qui traverse peut-être la crise qui marquera sa disparition sous la forme que nous connaissons. Ce n’est pas la même chose pour le livre. La réduction de couts de production que représente le livre numérique – répétons-le, moins de papier, et une distribution simplifiée – est certainement une aubaine pour ce secteur. Mais il ne faut pas croire que le format électronique attirera plus de lecteurs.
- Le flop commercial: plusieurs raisons pour cela.
- Le lecteur de livres numériques n’est pas gratuit: à 200 euros environ – le prix d’une Wii ou d’une console DSi – il n’est pas pour toutes les bourses. Et s’il y a plusieurs lecteurs dans la famille, faut-il en acheter plus d’un? A cela, il existe une alternative: les lecteurs gratuits, comme Stanza sur iPhone. Un bon compromis, mais de taille réduite par rapport au Kindle ou aux lecteurs Sony.
- Autre raison d’échec, le mode opératoire, finalement assez lourd: la nécessité de recharger son lecteur (un bon livre papier marche sans électricité…), le confort de lecture assez différent d’un livre, la fragilité de l’appareil (un livre papier craint mesurément l’eau, peut s’emporter sur la plage, se glisser dans une poche, etc.). A tous ces arguments, j’en opposerai un: le gain de place: pour de solides lecteurs comme mon épouse et moi (15 à 20 ouvrages par an en moyenne chacun), le stockage des livres commence à représenter un espace dont le coût n’est plus négligeable, en termes de m² habitables…
- L’absence d’un réel besoin: la musique nomade, le livre papier, l’ordinateur, on percé car ils permettaient tous de répondre à un besoin de l’humanité. Le livre numérique répond-il à un besoin quelconque, quantifiable? On peut en douter.
- Une offre limitée: c’est le principal défaut, à mon sens. Si je ne peux trouver tous les livres que je souhaite lire, je risque fort de renvoyer mon lecteur numérique à son fabricant. L’adéquation des librairies en ligne avec les attentes des lecteurs est une absolue nécessité si l’on veut que le livre numérique perce. Il est vraisemblable qu’en freinant des quatre fers la numérisation des fonds des grandes bibliothèques, les maisons d’édition françaises ne font que jouer cette carte de l’offre limitée. Le risque sera alors grand de voir non seulement notre pays, mais aussi notre langue et tout l’espace francophone, passer à coté d’une autre révolution numérique, qui ne concernerait qu’un public de lecteurs anglophones ou sinophones…
Pour conclure ce rapide article sur le livre numérique, je voudrais témoigner de ma propre expérience, avec un lecteur gratuit comme Stanza (j’en profite pour introduire le blog SmartiPhoners, sur lequel je reviendrai ultérieurement). Mon épouse ayant ramené quelques livres de la bibliothèque municipale pour que nos enfants commencent à lire du Jules Vernes, je me suis retrouvé avec 20 000 lieues sous les mers entre les mains. Ouvrage passionnant, mais dont je ne pus finir la lecture car ils furent retournés plus tôt que prévu. Que faire? Qu’à cela ne tienne, je me suis souvenu de Stanza, autrefois installé sur mon iPhone et jusqu’à présent inutilisé. J’ai donc procédé à la lecture de deux tiers de ce roman sous ce format. Qu’en ai retiré?
- Le confort de lecture est spartiate: il faut quand même une bonne vue pour lire quelques centaines de pages sous ce format. Mais on finit par s’y habituer. Les modes d’éclairage variables, la navigation tactile, finissent par faire oublier les premiers défauts.
- L’autonomie de l’iPhone est un véritable problème. Non point que Stanza pompe toute l’énergie, mais l’iPhone sert aussi à téléphoner, consulter ses mails, écouter de la musique, etc. Bref, si l’on accepte d’être interrompu dans sa lecture par l’arrivée de mails ou de SMS, cela reste acceptable.
- En revanche, le format et la richesse de l’outil sont incomparables. Outre le fait qu’il tient facilement dans une poche, c’est surtout la possibilité d’emporter une trentaine de livres avec soi qui m’a particulièrement séduit. Et je peux désormais envisager une nouvelle plongée dans l’univers de Shakespeare, de Corneille ou de Racine, à peine effleuré durant mes années d’étude.
- Enfin, tout lecteur numérique reste un appareil électrique. Pour un juif pratiquant, cela pose un problème … durant le shabbat. Or c’est mon principal jour de lecture. Et devoir attendre 24 heures pour finir les 20 dernières pages d’un tel roman est absolument insupportable. Oui, décidément, il restera encore une frange de la population qui ne pourra se convertir totalement au livre numérique…
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- Le témoignage de Michel Volle sur sa liseuse
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Un libraire de passage (papier et nuémrique).
Gallimard, Flammarion, La Martinière proposent des fichiers numériques avec un prix inférieur de 25% par rapport au papier. Si on prend en compte une tva à 19.6 % sur le livre numérique, c’est donc une baisse de 40 % que la chaine du livre accorde dans son ensemble.
Bonjour, très intéressant, je découvre votre site assez bien fait. Combien de titre compte votre catalogue numérique?
Bonjour,
Il y a presque 2000 titres en version numérique.
J’utilise le corner d’epagine que j’enrichis avec la médiation de la librairie en ligne qui vend du papier : chroniques,revue de la blogosphère littéraire et interviews !
C’est l’originalité de Bibliosurf.
Mort en 1905, Jules Verne est dans le domaine public, pourquoi en douter ?
Et ses ayants droits?
Quand l’auteur est dans le domaine public, il me semble que les ayants droits s’occupent seulement des droits moraux, pas des droits patrimoniaux.