Le lait de l’oranger
Un des plaisirs des locations saisonnières provient de la découverte de livres qu’on n’aurait jamais eu l’idée d’entrouvrir. Qu’ils soient proposés par des propriétaires attentionnés ou bien publiés par d’anciens locataires distraits, ils finissent par constituer des bibliothèques parfois très variées et souvent surprenantes. C’est dans l’une d’elle que je me fis, en quelques minutes, une idée sur l’oeuvre de Jean d’Ormesson. Et c’est dans une autre que j’ai découvert, ces derniers jours, le récit autobiographique de Gisèle Halimi, Le lait et l’oranger.
De Gisèle Halimi, disparue en 2020, je ne savais pas grand chose, à vrai dire. Je dispose certes de son arbre généalogique sur trois ou quatre générations, et je connaissais son investissement personnel pour l’émancipation des femmes ou le droit à l’avortement. Je connaissais son engagement à gauche, très à gauche, mais rien de plus.
Ce livre m’a donc donné l’occasion de découvrir son parcours, loin d’être inintéressant, et qui m’a rappelé, par certains points, le parcours d’Albert Memmi, à quelques différences près.
Tous deux sont nés dans des milieux tunisiens qui auraient pu les maintenir dans un étroit carcan traditionaliste, mais tout deux l’ont rejeté assez vite, allant chercher du côté de la culture, et de la culture française particulièrement, le chemin vers une émancipation totale, de leurs origines, de leur religion, à la découverte de ce qui les aidera à construire leur destin. Sans toutefois rejeter totalement leurs origines : Albert Memmi en a fait son gagne-pain, Gisèle Halimi pour sa part entretenant des relations régulières avec le pouvoir en place après l’indépendance. Les points communs s’arrêtent cependant là. Si Memmi vient d’un milieu misérable, Halimi semble plutôt venir d’un milieu familial qui a une génération d’avance et a choisi le mode de vie occidental. Son père, avocat, s’est fait naturaliser français, et s’engagera dans la Résistance, alors que son oncle deviendra communiste.
C’est ce dernier qui lui inculquera les nouvelles valeurs morales sur lesquelles elle va construire son parcours. Ayant quitté la Tunisie pour étudier le droit en France, elle revient s’inscrire au barreau de Tunis, mais s’engage dans la défense des partisans de l’indépendance, allant, au péril de sa vie, défendre avec plus ou mins de succès des dizaines d’Algériens accusés d’avoir participé à des attentats contre le pouvoir en place.
Ce sont ces années au service de l’indépendance algérienne qui constituent peut-être la partie la plus intéressante de ce livre. Gisèle Halimi y dresse le portrait parfois étonnant de certains des protagonistes, comme René Coty, décrit comme un vieillard à côté de la plaque, ou le général de Gaulle, alors au sommet de sa carrière, véritable machine politique. D’autres figures de la vie politique française de la seconde moitié du 20e siècle viennent croiser le parcours de Gisèle Halimi, qui les évoque parfois de manière flatteuse, parfois de manière plus mesurée. Mitterrand, Chirac, Edgard Faure et bien d’autres y figurent.
Voilà donc un livre que je n’aurais jamais acheté, mais dont le contenu peut en intéresser plus d’un.
Comme quoi, les vacances sont bien un formidable moment de découverte…

Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec