La prière pour la parnassa m’exaspère…

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L’un des avantages quand on passe près de 40 ans dans la même communauté religieuse, c’est qu’on peut constater les évolutions des rites et du dogme au fil du temps. Cela amène à reconsidérer avec un peu plus de recul la stabilité et la pérennité des pratiques religieuses. Dans le cas qui me concerne, j’ai pu constater, au cours de ces quarante années qui ont vu se succéder cinq rabbins et trois présidents de communauté à Boulogne, des changements qui pourraient sembler mineurs, mais qui sont caractéristiques d’une évolution du judaïsme français. L’une de ces évolutions concerne un psaume, que mes coreligionnaires lisent à l’issue des fêtes de Tichri: le Psaume 24.

Dans les années 80, ce psaume était lu, à Boulogne, par le doyen de la communauté, un certain Aymeric Kohn, un vieux monsieur d’origine hongroise, avec lequel il arrivait que mon père étudie parfois quelques pages de Guemara. Je me souviens encore de la voix frêle de laquelle il prononçait les paroles de ce Psaume. Il n’y avait rien de particulier, aucune signification majeure associée à ce texte. La communauté, chaque fois, répétait ce Psaume après ce brave monsieur, qui s’est éteint au milieu des années 90. C’est là que les choses ont commencé à se gâter.

Des Psaumes, il en existe près de 150. Des textes attribués au roi David, dont certains sont devenus des airs si connus, qu’on imagine mal les retrouver dans des airs d’opéra ou chantés par des groupes comme Boney M. On peut les lire à tout moment, quand l’envie vous en prend, quan d vus voulez pratiquer votre lecture, ou lire le Psaume associé à telle ou telle fête ou moment solennel. Je ne sais pour quelle raison ce Psaume là, le numéro 24, est devenu, du jour au lendemain, la prière pour la Parnassa.

Qu’est ce que la Parnassa. Comme l’explique le site Cheela.org, c’est ce qu’on appelle en bon français le « gagne-pain », le salaire, la subsistance. Souhaiter à quelqu’un une « bonne Parnassa », c’est lui souhaiter de gagner correctement sa vie: ni trop, ni pas assez. Les maximes des Pères rappellent d’ailleurs, à bon escient, que celui qui multiplie les richesses multiplie, par la même occasion, les soucis.

Bref, notre valeureux Psaume 24 est devenu la prière de la Parnassa. Vous imaginez facilement ce que cela signifie, et ce que cela a produit sur l’imagination des fidèles. À qui allait-on donc accorder cette prière pour la Parnassa? Il ne s’agit pas ici de cupidité, mais après tout, dans une assemblée de deux ou trois cents personnes, après toi, pourquoi serait-ce mon voisin qui en bénéficie, et pas moi?

Pour en décider, la plupart des communautés ont instauré un système d’enchères. Le lecteur non habitué aux circonvolutions des communautés juives orthodoxes pourra être surpris, mais oui, il arrive que des enchères se déroulent dans une synagogue pendant un jour où il est interdit de faire usage de son argent ! Il s’agit d’enchères symboliques, qui engagent moralement celui qui les remporte, puisqu’il n’y a aucune trace écrite: mais les trésoriers de communauté ont la mémoire longue, et celui qui s’amuserait à faire monter les enchères pour les remporter sans les acquitter ne pourra probablement pas jouer au même jeu les prochaines fois où il participerait à un office.

Le système, tout aussi surprenant qu’il soit, a le mérite de permettre de collecter des fonds pour la communauté, et aider à son fonctionnement. Le budget de fonctionnement varie d’une synagogue à l’autre, d’une communauté à l’autre, mais entre l’entretien des locaux, l’organisation de buffets, le salaire des permanents, et d’autres sources de coûts comme les systèmes de sécurité (devenus indispensables de nos jours, hélas), la cotisation annuelle des membres ne permet pas toujours de couvrir les frais et les enchères des fêtes de Tichri sont les bienvenues.

Hélas, ce système a induit une dérive lamentable: seuls les plus hauts revenus, parmi les membres d’une communauté, peuvet désormais se permettre de suivre de telles enchères. Et notre brave Psaume 24, devenu prière de la Parnassa, voit souvent son tarif s’envoler à quelques milliers d’euros. L’argent va à l’argent, c’est bien connu. Et ceux aux revenus les plus modestes, à qui ce Psaume devenu prière de la Parnassa pourrait faire le plus de bien, ne peuvent guère prétendre en bénéficier.

De deux choses l’une: ou les pouvoirs « magiques » de ce Psaume sont avérés (vous connaissez mon avis là-dessus…) et il serait grand temps de réparer cette injustice et de revenir à un système plus noble. Ou ces pouvoirs sont illusoires, et il serait grand temps de considérer les fidèles des communautés françaises comme des adultes, et d’arrêter de les infantiliser avec cette histoire de prière pour la Parnassa: il y a d’autres moyens de collecter les fonds nécessaires au fonctionnement d’une communauté…

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