Et si on fusionnait l’X et HEC?

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Ces dernières années, il me semble que les grandes écoles n’ont plus le vent en poupe. On leur reproche un tas de choses, tout et son contraire: de former une élite peu représentative de la nation, qui se vautre dans les ors de la République; de répondre à un modèle éducatif vétuste et inadapté à la mondialisation; de rester fermées à la diversité; de coûter cher. Un journaliste de Time Magazine, ancien enseignant à Sciences-Po, a même fait un tir groupé en les alignant toutes, sans distinction: les grandes écoles sont dépassées, ceux qui en sortent seraient inadaptés aux nécessités de la vie réelle, il serait temps de passer à autre chose.

De leur côté, les grandes écoles n’ont pas attendu que la critique monte pour repenser leur avenir. Des chantiers ont été mis en place depuis une dizaine d’années déjà, lorsque le souffle du classement de Shanghai avait ramené notre pays et sa formation à un rang que l’on n’avait jusqu’à présent jamais envisagé, même dans nos pires cauchemars: fruit d’une segmentation accrue au fil du temps, le système de formation de nos élites était basé sur de nombreuses écoles de taille modeste, là où les grandes universités chinoises ou américaines rivalisaient à coups de campus géants. La réponse fut rapide, sous la forme de ParisTech, un regroupement de 11 écoles d’ingénieur et d’une école de management, mais on peine encore à en voir les fruits. Car ce faisant, nous sommes tombés dans un excès bien français: au lieu d’étendre le périmètre des formations dispensées par exemple à l’X, on a concentré, autour de l’X, d’excellentes filières technologiques, mais, hélas, toutes exclusivement technologiques. Bref, on s’est sur-spécialisés, là où, vraisemblablement, on aurait dû élargir le spectre des compétences. Y aurait-il moyen de faire mieux?

Sans doute, et voilà ce que je propose: fusionner l’X et HEC. Un truc démagogique aujourd’hui, mais une vision à long terme, qui pourrait, un jour, redonner la vigueur qui fait défaut à notre pays.

x-hec

J’ai personnellement participé à la création de 3 PME. Deux ont connu un échec cuisant, la troisième est en train de se développer fort convenablement. Quelle différence y a-t-il entre ces trois expériences entrepreneuriale? La variété des fondateurs.

Dans le premier cas (EasyGlider), nous étions de brillants et talentueux ingénieurs et scientifiques, deux X et deux normaliens. Des tronches, quoi. Mais il n’y avait pas un seul profil commercial dan l’équipe de fondateurs. La société est partie en vrille au bout d’un an, tout naturellement: nous avions beau concevoir des produits magnifiques – l’un des premiers moteurs de recherche d’images et de vidéos sur le web, en 2000 déjà – nous étions incapables de le vendre. De fixer un prix, oui. Un prix délirant, comme seuls les ingénieurs savent le faire, tels des mères juives (mon fils, ma technologie…). Mais de prospecter des clients, de convaincre un prospect, ça, non: ce sont de viles tâches, qui furent confiés à des commerciaux recrutés à la va-vite, sans aucune compétence.

Dans le second cas (Ekoz Technology), ce fut encore plus rapide. Il ne fallut que 8 mois pour que deux conceptions du développement d’un produit et de sa technologie s’affrontent et que le projet parte en vrille. Nous n’avions même pas eu le temps d’évoquer le produit fini, ses fonctionnalités, sa cible, son prix, son packaging, rien de tout cela: quand deux ingénieurs sont convaincus d’avoir raison l’un contre l’autre, c’est souvent que tous les deux ont tort.

Dans le troisième cas (BlogAngels, devenue Be Angels), le montage fut différent. C’est d’abord avec Deborah Elalouf, puis avec Myriam Carville venue rejoindre l’équipe, que fut monté le projet d’entreprise, l’offre de services, le pricing, que fut développée la relation client, que fut bâtie l’entreprise. Qu’ont en commun Deborah et Myriam? La même filière: une prépa HEC, suivie d’une école de commerce, avec une forte propension à la création d’entreprise. Quelle est la différence majeure entre cette société et mes deux précédents projets? C’est qu’il ne s’agit pas de confronter des avis d’ingénieurs convaincus de la supériorité de leur technologie, cette fois, mais plutôt de développer et réussir un projet d’entreprise, où des compétences variées sont mises en oeuvre, certaines sont techniques, d’autres le sont moins.

J’ai beaucoup de respect pour mes « camarades » de l’X et pour les autres ingénieurs, passés par l’enfer des prépas scientifiques. Un enfer pas si violent que cela – même si certains y laissent leur vie, hélas – mais qui correspond à un modèle de rigueur scientifique qu’on nous envie souvent, en réalité. Chaque pays a ses filières de sélection des élites, et celle choisie par la France n’est pas la plus mauvaise. Ce qui peut être amélioré, en revanche, c’est ce vers quoi on dirige les individus ainsi sélectionnés. Le système français, voyez-vous, accentue le cloisonnement. Un ingénieur est « programmé » pour être ingénieur, réfléchir en ingénieur, et se dispenser de sortir de sa « zone de confort ». Un élève qui intègre une grande école commerciale sera programmé pour une des filières choisies – finance, audit, entrepreneuriat – mais ne sera pas plus incité à sortir de sa propre zone de confort. Les passerelles d’un monde vers un autre son rares, tant durant les années d’éducation, que durant les longues quarante et quelques années d’exercice professionnel qui suivront. C’est cela, qui gangrène notre pays.

Maintenant, imaginez un instant qu’on fusionne les deux systèmes. Qu’au lieu de créer des clones, on crée des binômes compétents, capables de porter un regard à 360°, plus à même de prendre les bonnes décisions. Qui soit force d’innovation à la fois en termes de technologies et termes d’usage. En termes de sciences et d’innovation durable. De savoir et de modèle économique. C’est vers cela que devrait tendre l’évolution des grandes écoles, et non vers un regroupement d’écoles aux profils proches ou similaires, plus ou moins concurrentes les unes des autres. Imaginez qu’en intégrant une grande école sur la base de connaissances scientifiques, on puisse accéder à une véritable formation de management; et qu’en intégrant une école de commerce on accède à un vivier de talents scientifiques qui ne demandent qu’à fonctionner avec de talentueux et audacieux commerciaux.

La nature aimant les rapprochements géographiques, comment pourrait-on développer de telles synergies? Simplement en rapprochant les écoles physiquement peu éloignées. L’X et HEC, par exemple. Ou les Mines ParisTech et ESCP Europe, même si un fleuve les sépare. Ce sera plus dur pour l’ESSEC et Centrale, évidemment, un peu distants.

Voilà comment les grandes écoles devraient, ou pourraient, réagir à la lente érosion que leur impose le classement de Shanghai. Qui sera assez fou pour oser un tel projet? Selon son site Internet, le slogan d’HEC est « apprendre à oser« .

Chiche?

hec apprendre a oser

Note: ce billet un peu long a été largement inspiré d’une discussion ce midi avec un jeune camarade, cadre dans un grand groupe industriel français qui vit confortablement de ses investissements réalisés il y a plus d’une quinzaine d’années, mais qui peine à innover et à entreprendre les évolutions qui lui permettront de maintenir son leadership sur le long terme. Il se reconnaîtra sans doute, même s’il n’est sans doute pas le seul dans cette situation.

Note supplémentaire: il faut lire également les excellents billets de Christophe Faurie sur l’éducation.

Note finale: un lecteur me suggère de lire cet article qui parlait déjà de fusionner

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