Elections présidentielles: l’année des cygnes noirs?

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J’ai déjà parlé du Cygne noir, le livre de Nassim Nicholas Taleb, que tout le monde devrait lire un jour. L’auteur y évoque les facéties que nous joue le monde des probabilités, et notre incapacité à comprendre que des événements réputés improbables peuvent quand même se produire. Nous risquons d’ailleurs d’en voir deux ces prochains mois. A commencer dès demain.

Dans un peu plus de vingt-quatre heures, nous saurons le nom du 45ème président des Etats-Unis. Deux candidats s’y opposent: Hillary Clinton, femme d’un ancien président, qui fréquente les milieux politiques depuis près de trente ans, et pourrait devenir la première femme à la tête de ce payssi elle ne jouait pas autant avec ses emails personnels. Face à elle, un cygne noir: Donald Trump, milliardaire qui a fait fortune dans l’immobilier, a aussi fit faillite, a animé une émission de télé-réalité particulièrement stupide, avant de réaliser un holdup sur le Parti Républicain, de remporter les primaires à la surprise générale, et de mener une campagne aux slogans délétères, oscillant entre le racisme et le sexisme primaire. Personne ne croyait un tel candidat capable d’atteindre un tel stade de la compétition et même si les sondages le donnent presque tous perdant, je ne serais pas surpris que l’issue de ce scrutin soit finalement à son avantage. L’élection de Donald Trump serait un cygne noir.


Auteur: Michael Vadon. Source: Wikipedia

Les répercussions seraient-elles terribles? C’est ce que dit le camp adverse. Je reste persuadé qu’une campagne reste une campagne, que les messages qu’on y profère correspondent rarement aux réformes qui s’ensuivent, et que tout grand dadais qu’il paraisse, Trump est à son affaire. Après tout, contrairement aux précédents milliardaires qui ont tenté l’aventure comme Ross Perrot, Trump a réussi à aller beaucoup plus que tout le monde, en réduisant sur la faiblesse à laquelle s’opposaient ces milliardaires: ils étaient le 3e candidat face aux deux partis hégémoniques. En réalisant son holdup à l’été dernier, Trump a réduit l’une des deux menaces. D’un point de vue stratégique, c’est très remarquable: ce type est loin d’être un idiot.

Et chez nous, quels pourraient être les cygnes noirs? J’en vois deux. Le premier, bien évidemment, serait l’accession au pouvoir de Marine Le Pen. Le parti qu’elle dirige a réalisé d’excellents scores aux derniers scrutins, elle pourrait parfaitement arriver en tête au premier tour. Peut-elle l’emporter? Il faudrait pour cela que le report des voix sur le candidat arrivé second, qu’il vienne de la droite (plus probablement) ou de la gauche (ce serait une surprise) ne s’opère pas. Croyez-moi, c’est loin d’être improbable: j’ai croisé pas mal de personnes qui ont regretté d’avoir voté Chirac en 2002: non pas qu’elles auraient espéré la victoire de Jean-Marie Le Pen; mais a posteriori, ces électeurs de gauche se sont dits qu’au final, en comptant sur le réveil des abstentionnistes, Chirac aurait très bien pu s’en sortir sans les voix de gauche. Attention, danger…

chirac-le-pen-2002
L’autre cygne noir, dont on parle étonnamment peu, c’est que même si la gauche ou la droite l’emportait à la présidentielle, des dégâts substantiels peuvent encore se produire aux législatives qui suivent un mois plus tard. En effet, un report des voix de la gauche vers la droite ou l’inverse provoquerait un sentiment d’insatisfaction du camp dont le candidat phare aura été éliminé au premier tour, provoquant probablement un sursaut aux élections suivantes, du style  » je vote habituellement à gauche, j’ai été obligé de voter pour le candidat de droite, pour faire barrage mais je me rattraperais aux législatives »…

Supposons que fort d’un joli score – allez, disons 25% – au premier tour de la présidentielle, le Front National réalise une percée aux législatives. Oh, pas du même ordre, mais disons un petit 13%: c’est déjà beaucoup, de l’ordre de 75 députés. Supposez que dans le même temps, les partis de gauche totalisent 40% des sièges, alors que les forces de droite n’arriveraient qu’à 47%. On aurait droit à un joli petit pataquès: aucune majorité présidentielle possible, à moins qu’un des deux grands partis n’accepte de faire alliance avec le FN. Peu probable, dites-vous, C’est exactement ce qu’on attend d’un cygne noir. Je vous parie qu’au soir du 11 juin, il n’y aura aucun vainqueur, et que l’Assemblée Nationale sera devenue ingouvernable. Malgré les prouesses du découpage des circonscriptions.


L’Assemblée Nationale, telle que sortie des élections de 2012. Source : Wikipedia

Petit conseil à ceux qui sont arrivés à la fin de ce petit article: Taleb a publié un autre livre, dans la même veine: Antifragile. Il traite de la résilience plus que de la robustesse – de l’antifragilité plus exactement – de certains systèmes, et de leur capacité à tirer parti de l’occurence d’un cygne noir. Notre système politique en sera-t-il capable?…

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