Le jour d'après… : Sans réduction des inégalités, pas de sortie de crise!
Et si la véritable origine de la crise de 2008 était non pas le niveau d’endettement des ménages aux revenus les plus faibles, mais l’accroissement des inégalités au sein de la société américaine? Voici la thèse que développe Robert Reich dans son livre ‘Le jour d’après‘ (titre français assez plat, par comparaison au titre original: Aftershock: The Next Economy and America’s Future…).
N’allez pas me prendre pour le dernier des communistes, ou un marxiste-léniniste en herbe: je suis convaincu que l’économie de marché est le meilleur des systèmes, car il repose sur un principe essentiel, la liberté: d’entreprendre, d’acheter, de vendre, bref, de faire fonctionner nos sociétés. Mais le capitalisme n’est pas une fin en soi, et l’accroissement sans fin des richesses n’est pas un bienfait. En cela, je rejoins totalement la théorie développée par ce livre.
Que dit-il en fait? Reich part d’un constat: que les riches consomment moins que les pauvres, à volume de revenu égal. Prenez un individu qui gagne 100 millions de dollars de revenu annuel. Il s’achètera probablement une ou deux belles voitures, une ou deux belles maisons, peut-être même un yacht ou un jet privé, s’offrira des vacances luxueuses, mais au final, il placera la majeure partie de sa fortune, probablement sur des instruments financiers ou sur des valeurs « sures ». Comparez cela avec 2000 foyers qui gagneraient 50000 dollars par an: on ne vit pas dans le luxe, avec 50000 dollars par an, surtout si on élève une famille. Les 100 millions de dollars que représentent ces 2000 foyers seraient réinvestis à coup sûr tout au long de l’année, en logement, assurance, automobile, vêtements, éducation, alimentation et peut-être en loisir pour certains. Certains pourraient même faire quelques économies. Mais au final, une multitude d’entreprise fonctionneraient, bien plus que dans le cas d’un seul bénéficiaire de la mise de 100 millions de dollars annuels.
C’est un peu comme au Monopoly: quand un des joueurs s’enrichit immensément, il bloque le jeu: plus personne ne peut suivre, sauf à s’endetter … probablement auprès du même joueur.
Pour arriver à son constat, Reich s’est inspiré du même constat établi par Marriner Eccles, président de la FED sous les présidents Roosevelt et Truman (le bâtiment de la FED porte son nom…), et à qui l’on doit, selon Reich, la relance de l’économie américaine pendant le New Deal, par une politique visant à accroître les revenus des ménages et à stimuler la consommation intérieure.
Reich cite aussi Thomas Piketty et Emmanuel Saez, dont l’étude sur la part des revenus perçus par les 1% les plus riches met en évidence – du moins sur la courbe bleue des US, c’est moins visible pou la France – le fait que les pics sont atteints à la veille des deux grandes crises des cent dernières années (1928, 2007).
Où Reich veut-il en venir: tout simplement que les salaires des plus riches et les salaires des plus pauvres ne peuvent continuer à s’éloigner indéfiniment, telles des galaxies liées par la loi de Hubble, sans que cela n’ait d’incidence sur l’économie globale. Les conséquences de cet éloignement sont de plusieurs ordres:
- réduction de la consommation intérieure: on le voit déjà chez nous, avec le succès vertigineux des produits low-cost et des produits de luxe aux extrêmes, au détriment du moyen de gamme
- la progression d’attitudes protectionnistes
- le développement de partis nationalistes (Front National qui joue les gros bras en France, et Tea Party aux US)
Les remèdes que proposent Reich ne me semblent pas être si difficiles à mettre en place. Le seul souci, comme le constate l’auteur, c’est la collusion entre milieux d’affaires et milieux politiques, au détriment de la cohésion et de la solidarité nationale. Les affaires Woerth, Betancourt, les liens entre la tête de l’état et certains grands patrons nous rappellent, hélas, que ce constat est aussi valide en France qu’aux Etats-Unis….
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Merci pour l’idée.
Effectivement, ce qui est frappant dans l’évolution récente de nos sociétés, c’est la croissance des inégalités, en termes de revenus, mais aussi d’accès à l’emploi, à la propriété et à l’enseignement. (The Economist, sur le sujet: http://www.economist.com/blogs/freeexchange/2011/05/income_inequality)
Il est tentant de penser qu’en revenant à la situation précédente, on pourrait retrouver une économie plus saine, de type trente glorieuses.
J’ai aussi lu un économiste qui expliquait que c’était l’endettement des pauvres qui rendait fragile l’économie des USA, donc qu’en leur donnant un plus grand pouvoir, ils s’enrichiraient, paieraient leurs dettes et remettraient les banques et l’économie en forme.
Pour le moment, on fait l’exact inverse: la rigueur concerne en premier les pauvres, notamment du fait de la réduction des services de l’Etat, dont un rôle majeur est de corriger les inégalités. (Et, pour un nombre incroyable de gens, il en faut très peu pour tomber dans la précarité.)
Solution tentante, mais est-elle réalisable? Je me demande si la croissance des inégalités ne vient pas d’une attitude globale de la société. Riches ou pauvres nous sommes de individualistes et cet état de fait a pour résultat une société où celui qui est en position de force exploite celui qui ne l’est pas, du haut au bas de la société. Il n’est pas certain que, sans une prise de conscience globale, du type de celle qui avait eu lieu après la guerre de 40, la situation puisse être redressée.
J’attends avec impatience ton analyse!