Rossel, Mort pour la France ?

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Par Serge Delwasse (X86) et Regis Portalez (X06)

Le 28 novembre 1871, il y a 150 ans, était exécuté Louis Rossel, X1862. De Gaulle disait, « de la Commune, il ne restera rien, hormis Rossel« . Rappelons que c’est le seul officier d’active à avoir rejoint la Commune de Paris, dont il fut Ministre de la Guerre.

Ils sont peu nombreux, les X à être tombés sous des balles françaises : Vaneau, peut être quelques combattants – de part et d’autre d’ailleurs – au cours de la campagne de Syrie, Bastien-Thiry et Rossel, donc.

Serge et Régis ont souhaité lui rendre hommage à quatre mains, sachant que, bien évidemment, écrire ensemble ne veut pas dire être d’accord sur tout, pas plus que partager les mêmes opinions politiques. La camaraderie polytechnicienne se nourrit également de la diversité…

Serge commence…

J’avais eu l’occasion de rédiger quelques lignes, dans la Jaune et la Rouge spéciale Grand Magnan 2017 Je les reproduis ici – qu’il me soit permis de remercier Robert Ranquet, son Rédac’chef, qui m’a gentiment autorisé à le faire – d’un autre côté, il y a pas mal de gens à l’X, à l’AX et dans l’environnement qui savent que m’interdire quelque chose n’est pas forcément la meilleure façon de s’assurer que je ne le fasse pas… N’empêche, Il m’a autorisé, et je lui en sais gré – et comme il vient de quitter son poste après de longues années, j’en profite pour lui faire un petit clin d’œil.

Mais revenons à Rossel.

J’écrivais :

« Evoquer […] de nombreuses figures de nos camarades qui, de l’expédition d’Égypte à la lutte anti-terrorisme, se sont battus pour notre pays. Parmi ces camarades, il en est un dont je souhaite décrire rapidement le parcours. Il s’agit de Louis-Nathaniel Rossel. Je ne détaillerai pas sa biographie, plusieurs ouvrages le font très bien. Je recommande particulièrement le Rossel, 1844- 1871, d’Édith Thomas« .

Par ailleurs, une grosse partie de ses écrits – correspondance et minutes de ses procès comprises – ont été publiés à plusieurs reprises. Je me contenterai de quelques éclairages.

Le refus de la défaite

Il est capitaine du génie en 1870, lorsque l’armée de Bazaine se fait enfermer dans Metz. Il s’était fait connaître auparavant en affrontant par médias interposés un vieux général auquel il a démontré qu’il se trompait. C’est une sombre histoire d’écrit apocryphe de Napoléon. Déjà Rossel démontrait qu’il avait une certaine capacité à se faire des « amis » parmi des supérieurs. À peine arrivé à Metz, Rossel va voir Bazaine et l’exhorte à se battre. La contraposée étant que, ce dernier préférant se rendre, il abandonne Metz, traverse les lignes ennemies et rejoint Gambetta. Ce dernier, courageux mais fin politique, se méfie visiblement de ce jeune capitaine qui prétend diriger l’armée, le repasse à Freycinet qui, pour s’en débarrasser, lui donne un poste de colonel dans l’armée auxiliaire.

Rossel se résigne.

Ministre de la guerre de la commune.

Il se résigne, jusqu’à la Commune.

Ni une ni deux, il retraverse les lignes, et va se mettre au service de la Commune. Chef d’état-major de Cluseret, il le remplace 25 jours après, et finit donc sa carrière comme ministre de la Guerre de la Commune. J’écris « finit la carrière » puisque, à peine un mois après avoir été nommé, il explique à ladite Commune qu’elle va dans le mur (des fédérés !) – ce qui n’était pas faux d’ailleurs, surtout si le lecteur me pardonne le jeu de mots douteux – et démissionne. Recherché par ladite Commune, il reste néanmoins dans Paris, et se cache pendant la semaine sanglante, mais finit par se faire prendre par les Versaillais qui le jugent deux fois, le condamnent à mort deux fois également, et le fusillent le 28 novembre 1871 ! En attendant la mort, tel Évariste Galois la nuit précédant son duel mortel, il écrivait des traités de stratégie militaire… Rossel est donc parmi les rares X à avoir été fusillés. La rencontre entre une personnalité exceptionnelle, mélange d’intelligence fulgurante, d’esprit frondeur, de capacité de travail, de rigidité intellectuelle, de conviction et d’amour et des circonstances non moins exceptionnelles a été détonnante.

Un caractère trempé

Quelques anecdotes pour montrer qu’il était un vrai polytechnicien : il a failli se faire renvoyer du Prytanée pour avoir participé à une grève. Et il avait pris 8 JAR (jours d’arrêt de rigueur) pour avoir fait le bêta alors qu’il était consigné. Rien que de très normal… Son affection pour l’École semble réelle, car il a gardé le képi d’élève que sa sœur a d’ailleurs offert à l’Ecole.

Je termine par quelques citations qui décrivent bien le personnage :

« Je remercie bien Père de me gronder. J’ai eu le tort jusqu’à présent de ne jamais prendre mes chefs au sérieux, ni leurs punitions non plus. J’espère que cela me viendra » (1863). Cela ne lui viendra pas…

« Dans un seul cas, l’armée peut quelquefois faire mieux la police que la police elle-même. C’est dans le cas d’une guerre civile » (1868).

« Tout va bien. Je n’ai pas le temps d’écrire. Nos généraux sont des andouilles. Je vous embrasse et je vous aime » (4 août 1870).

« Sacrifier son devoir de soldat à son devoir de citoyen » (dans Metz assiégée). « Ce qui vous a manqué, c’est l’intelligence militaire […]. La décision et l’audace dont vous étiez rempli ont honteusement fait défaut à vos généraux : ce sont là pourtant les vraies qualités des hommes de guerre. Je n’ai jamais compris, pour moi, ce que vous faisiez dans votre cabinet. Napoléon […] faisait la guerre, et vous, vous la laissez faire » (à Gambetta).

« Si j’avais eu 3 000 francs lorsque je suis sorti de l’École polytechnique, j’aurais acheté ma vie ailleurs que dans le métier de soldat que je déteste aujourd’hui plus que jamais » (14 mars 1871).

« Instruit par une dépêche […] qu’il y a deux partis en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n’a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs de généraux coupables de capitulations […]. J’ai l’honneur d’être, mon général, votre très obéissant et dévoué serviteur » (19 mars 1871).

Quatre ans plus tard, ai-je quelque chose à ajouter à ces lignes ? Très certainement. Mais préalablement, lisons ce qu’en dit Régis.

Régis enchaîne…

Je veux commencer par remercier Serge, avec qui je ne partage politiquement pas grand-chose sinon l’impertinence outrancière propre à notre école, de m’avoir fait découvrir ce grand bonhomme qu’a pu être Louis Rossel.

Voilà un X, un vrai. Un X est avant tout patriote, c’est-à-dire attaché à la France, Nation vue en tant que peuple constitué. Ce n’est pas être dans l’axe, ça, c’est être capable d’envoyer paître tout le monde quand il le faut au service de la France.

La guerre de 1870 était un de ces moments. La bourgeoisie parisienne n’avait rien à faire de la France, rien à faire des français – la guerre avait été déclenchée, disait-on, pour faire taire les contestations ouvrières qui prenaient de l’ampleur suite à des lois sur la liberté d’expression. L’empire, l’armée, la bourgeoisie se sont couchés en quelques mois devant les prussiens.

La France perdait l’Alsace et la Lorraine et 150 000 morts ? Et alors ? L’incendie social était éteint. Sauf que non, le peuple parisien, suivi par quelques autres communes provinciales (rapidement matées), se levait pour se battre.

Rossel était un vrai X. Il a choisi la France et l’honneur. Comme un d’Estienne d’Orves pourra le faire 70 ans après. Les deux ne seraient sans doute pas bien entendus en temps de paix, mais nul doute qu’ils auraient combattu ensemble en temps de guerre, et sans réserve.

Tout frondeur qu’il était, Rossel a rejoint la justice, comme d’Estienne d’Orves le fera en 1940, et c’est à ça qu’on reconnaît les grands – les deux le paieront de leur vie. Il est peut-être excessif de dire : « il n’y a pas de grands hommes il n’y a que de grands conflits ». Mais il est vrai que la valeur d’un homme tient à sa manière « d’éprouver, d’exprimer un grand conflit, et d’y répondre ».

Rossel a déploré l’organisation militaire de la commune. Évidemment. Moi-même, 150 après, j’en déplore l’inexistence. La bonne volonté n’a pas suffi. Qui sait ce qu’aurait donné une contre-offensive sur Versailles le jour des premières victoires ?

Mais il n’a pas vu, forcément puisque fusillé quelques mois après, l’éclatante réussite politique de la Commune qui résonne encore aujourd’hui. Le 18 janvier 1918, Lénine ne dansa-t-il pas sur la place rouge le jour ou leur révolution aura dépassé la durée de vie de la commune ? Les grandes idées mises en place ne seront-elles pas reprises plus tard et partout ? Instruction gratuite, laïque et obligatoire, séparation de l’Église et de l’État, suffrage universel, réduction du temps de travail, etc ?

La commune, c’est la mère de la République sociale de 1946 et de l’article premier de notre constitution
– le père étant Maximilien Robespierre.

De Gaulle a tort.

De la Commune, il reste déjà bien plus que Rossel.

Mais de l’Ecole polytechnique, il ne restera que les Rossel.

Serge reprend la parole, ou, du moins, tente de le faire, tant il est difficile de passer après l’éloquence et la verve de Régis

Je commencerai donc par trois points pour revenir à l’Histoire :

  • Rossel a été proprement exécuté par la République en la personne d’Adolphe Thiers, puisque, cela ne fait aucun doute, sa condamnation à mort était illégale (pour résumer, il a été condamné pour trahison, alors qu’il s’agit tout au plus de sédition).
  • Mais Rossel s’est également pratiquement suicidé. En effet, sous la pression de ses amis, Thiers lui a proposé la grâce contre l’exil, à la condition de ne jamais revenir. Ce qui me laisse à penser qu’il était dépressif. J’en veux pour preuve ses démissions successives… Son enthousiasme, ses emportements, son caractère que je qualifiais de « bien trempé » en 2017, sont admirables, mais n’étaient-ce pas, au fond, sa faiblesse ? Louise Michel et bien d’autres ont choisi l’exil, et sont revenus, quelques années plus tard…
  • En effet, nous admirons l’héroïsme, mais cet héroïsme n’était-il pas bêtise ? Un Pape (l’amiral qui commande l’Ecole navale) avait coutume de dire : « Je ne vous forme pas pour mourir en héros, mais pour survivre ». Régis cite Lenine. Lenine avait choisi l’exil pour continuer le combat. Et Lenine a eu raison, comme souvent ceux qui survivent.
  • Rossel était ce qu’on appellerait aujourd’hui un idéaliste. Un Bonaparte, à sa place, aurait probablement pris le pouvoir en renversant la Commune, et l’aurait, qui sait, peut-être fait triompher. Les 20 dernières minutes de ce film qui lui est consacré sont à cet égard édifiantes.

Rossel appartient à cette tradition d’une certaine frange des X, que l’on qualifierait aujourd’hui d’extrême-gauche, tradition qui perdure. Tradition que Régis perpétue, avec son GU dans les manifestations de gilets jaunes. Evidemment Régis n’est pas Vaneau, il n’est pas Rossel, mais, qui sait s’il n’aurait pas été Rossel en 1871, ou si Rossel n’aurait pas été Régis en 2018 ?

C’est pour cela que je suis fier de l’avoir pour camarade. Chic à la Rouje.

Et pour répondre à la question d’origine : Oui, il est indéniable que Rossel est mort pour la France, ou, du moins, pour une certaine idée de la France

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