Que feriez-vous d’un spam à 15 milliards de dollars ?
Des spams, on en reçoit tous les jours. C’est le revers de la médaille d’un monde devenu plus que digital. Ces messages venus d’on ne sait où (mais on imagine très bien…), rédigés dans une langue qui confère parfois à de la poésie, m’ont toujours fasciné. Je leur ai même consacré un site, il y a quelques années, Un spam un jour.
Grâce soit cependant rendue à Google, à l’IA et à d’autres ingénieux ingénieurs, qui ont mis au point des filtres anti-spams chargés de reléguer ces pourriels vers la corbeille de notre messagerie, sans que nous ayons à les traiter individuellement. Bravo, ça marche tellement bien, que parfois, on y retrouve de véritables mails, parfaitement intéressants, de vrais faux spams.
Alerte, spam
À l’inverse, il arrive parfois que certains spams traversent les mailles du filet dressés par ces pêcheurs du 21e siècle, pour de multiples raisons qu’il n’est point nécessaire d’approfondir pour mon propos. Disons simplement ici qu’il nous arrive à tous de rencontrer, de manière fortuite, un mail de ce type :
From : Sultan Jamalul Kiram III
Object : Financial dispute with the state of Malaisia
Dear Sir, we hereby request your assistance in resolving a dispute between us and the Republic of Malaysia. Our ancestor, the Sultan of Sulu, signed a contract in 1878 with His Majesty the British Emperor which pays us a monthly retribution of 5300 ringgits. This contract is now with the Malaysian state which inherited it and which must honor it.
Unfortunately, for a few months, the Malaysian state has stopped paying the amount due to us. We hereby implore your help to compel the Malaysian state to resume its payments.
Please, dear sir, accept the expression of our most honorable feelings,
The desendants of Sultan Jamalul Kiram III
Quelle erreur de jugement !
Que feriez-vous dans pareil cas ? J’imagine que comme moi, vous pousseriez gentiment cet email vers la sortie, vers votre dossier spam ou pourriel, et oublieriez rapidement de quoi il retourne. Ce faisant, vous commettriez l’erreur (financière) de votre vie.
D’autres ne l’ont apparemment pas faite, et ont parfaitement compris ce qui se tramait.
Bon, il faut dire que la résolution de litiges, c’est spécifiquement leur métier. Eux, ce sont les gens de Therium, une société spécialisée dans la résolution de litiges de toutes sortes, des class actions aux litiges internationaux, des banqueroutes aux litiges liés aux brevets, des arbitrages internationaux à tout ce que vous pourriez imaginer, qui nécessite la constitution d’une équipe d’avocats de calibre international pour aller réclamer quelques centaines de millions de dollars.
Qu’est ce qui fait la particularité de Therium, alors ? Des cabinets d’avocats internationaux, il en existe depuis belle lurette. Oui mais celui-ci a pris la forme d’un fond d’investissement, et revendique déjà plus d’un milliard de dollars de fonds levés, pour une valeur clamée de 100 milliards de dollars.
Pour les équipes de Therium (il fallait que je la fasse, celle-là, c’est mon mon côté chimiste), l’affaire Jamalul Kiram III était une aubaine d’un calibre supérieur. Au terme de débats qui ont mené le dossier devant plusieurs tribunaux, ces équipes ont réussi à faire condamner la Malaisie à verser 15 milliards de dollars (!) à ces descendants supputés du sultan de Sulu, qui en effet avait signé un contrat avec deux représentants de la couronne britannique, contrat au terme duquel il cédait son territoire en échange d’une rente annuelle, toujours honorée, jusqu’à peu. La Malaisie ayant décidé de suspendre les paiements, les descendants de Jamalul Kiram ont ressorti le vieux contrat, dont une des clauses stipule qu’en cas de suspension des paiements, le détenteur serait susceptible de réclamer la restitution de ses biens, une région pauvre, qui contient cependant d’importantes réserves d’hydrocarbures…
Sympa, non ?
Bon, pour être honnête, je ne suis pas certain que les descendants de Jamalul Kiram III se soient adressés à Therium via un tel mail. Leur père ou grand-père avait suffisamment de moyens pour mettre le feu à la région en question, lors d’un mini putsch qui eut lieu en 2013. Mais enfin, l’affaire est suffisamment rocambolesque pour qu’on puisse la romancer un tant soit peu…
Découvrez d'autres articles sur ce thème...
Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec