Hommage aux pèse-personnes

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De tous nos appareils domestiques, le pèse-personne est probablement celui avec lequel nos entretenons une relation teintée à la fois d’amour et de mépris. Nous adorons le voir afficher quelques grammes en moins, mais la haïssons chaque fois qu’il nous met en face de nos excès nutritifs. Après deux mois de confinement, durant lesquels la pratique des arts culinaires a surpassé l’exercice physique, il est fort probable que nos pèse-personnes passent de sales quart d’heures.

Pourtant, ils ne le méritent pas.

Ces fidèles compagnons de nos avanies caloriques sont apparus assez récemment au sein des foyers humains. Je me souviens encore de l’époque où pour se peser, il fallait aller chez le médecin ou se rendre dans une pharmacie . Qui aurait eu l’idée incongrue de se procurer un de ces appareils assez laids et encombrants pour meuble son chez soi ? Et quand je dis laids et encombrants, c’est un euphémisme. Leur look dépassé les rapprochait plus de la physionomie d’un parcmètre, dans leur version des années 70, avec de gros bulbes laissant apparaître des aiguilles à la précision un peu rudimentaire.

De tous les pèse-personnes que je croisais à cette époque, je me souviens parfaitement d’un, envers lequel j’éprouvais un attachement particulier. Il se situait sur la RN7 à l’entrée de Juan les Pins, près du croisement avec l’avenue de l’amiral Courbet. Ce pèse-personne magnifique trônait à l’entrée d’une pharmacie. Rien ne le distinguait de ses congénères, à un détail près : il fallait payer pour l’utiliser. Je ne me souviens plus du montant exigé, mais je me souviens parfaitement qu’il délivrait un ticket sur lequel était imprimé, en lettres bleues, le poids alors mesuré. Pourtant, ce n’était pas cette information qui m’intéressait, mais ce qui se trouvait sur la face opposée : une magnifique reproduction illustrée d’un véhicule automobile des trente années précédentes, une Citroën 11, une Aronde ou une 404. J’étais encore un gamin, et ces images me passionnaient tellement, que je demandais plusieurs fois à mes parents d’aller me faire peser, pour collectionner ces images.

Puis le pèse-personne domestique apparu. Mes parents firent l’acquisition d’un de ces appareils dans les années 80. D’une précision tout aléatoire, il trônait dans la salle de bains. Je ne me souviens plus de la marque de cet appareil, ce devait être Seb ou Moulinex, ou bien Terraillon, bref, une marque dans ce style un peu neutre, dont on oublie le nom trente as plus tard. Les pèse-personnes devenaient alors une « commodité », un outil au service du consommateur impatient, mais aussi un peu hypochondriaque, qui pense qu’en se tenant informé de son poids, il parviendra à déjouer les méfaits du temps.

Le pèse-personne aurait pu sombrer dans les oubliettes de l’histoire des appareils domestiques, si une bande d’ingénieurs n’étaient pas passés par là. Des ingénieurs un peu malin, qui ont réussi à établir un lien entre pèse-personne, WiFi et SmartPhone. C’est ainsi qu’au début des années 2010, apparurent les premiers pèse-personne connectés.

Connectés à quoi, me direz-vous ?

Connectés à Internet, bien sûr.

Qu’est-ce à dire ? Des pèse-personnes pour surfer sur le Web?

Pas tout à fait. Ces pèse-personnes utilisent le Web non pas pour y puiser de l’information (bien qu’ils le puissent parfaitement, comme pour la météo), mais pour y pousser une information capitale : votre poids. Ces petits-appareils intelligents, et au design qui a remarquablement évolué, enregistrent vos données corporelles au fil du temps et de vos pesées, pour que vous puissiez consulter la courbe d’évolution de votre poids, sur votre smartphone, alors que vous êtes confortablement installé dans votre fauteuil, ou brinquebalé dans les transports en commun.

Accessoirement, l’accès internet leur permet également de vous dire la météo du jour.

C’est ainsi qu’en l’an de grâce 2013, j’ai moi-même fait l’acquisition d’un tel appareil. À l’époque, je démarchais une des entreprises qui concevait ce type d’appareils, et je trouvais fort à propos de tester l’un de leurs produits par moi-même (Jj’ai, comme David Ogilvy, peu à peu adopté ce choix très personnel consistant à acheter les produits des marques dont mon entreprise fait la promotion. C’est une démarche saine et de bon sens, ce qui ne m’empêche pas de faire quelques incartades, au prétexte de comparer avec les produits de la concurrence).

Le modèle que je choisis alors, un WS-30, m’a donné, je dois le reconnaître, entière satisfaction. Il pèse régulièrement les nombreux membres de ma famille. Cerise sur le gâteau, il nous reconnaît par notre poids, et affiche les trois premières lettres de notre prénom dès qu’il nous a identifiés. Ce qui ne l’empêche pas de commettre quelques erreurs, dès que les courbes d’évolution du poids de deux membres de la famille, à la corpulence proche, se croisent. C’est ainsi que je ne peux savoir si c’est ma femme ou ma fille qui prend – ou perd – du poids, et j’apprécie cette touche de discrétion.

Enfin, je dois avouer qu’un détail supplémentaire m’a empli du sentiment que ressent le consommateur comblé, lorsqu’il estime avoir fait l’acquisition d’un produit hors pair : contrairement à de nombreux appareils électriques fonctionnant avec des piles, celui-ci ne réclame qu’on les lui change qu’une fois par an. J’ai bien noté ce détail, car j’étais surpris de constater un premier changement de piles au bout d’un an exactement, à la date d’anniversaire de son achat, début mai 2013. Puis un second changement de piles, exactement un an plus tard. Et ainsi de suite, jusqu’à mai 2020.

Un appareil aussi peu gourmand en énergie ne peut être qu’intelligent.

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