Weaving the web
C’est au fin fond d’un fil de discussion très dense au sujet de la mission de l’AX que je suis tombé sur cette recommandation de Daniel Glazman, de lire Weaving the Web, où l’inventeur du Web, Tim Berners-Lee, écrit: « This mindset, I thought, was disappointingly different from the more American entrepreneurial attitude of developing something in the garage for fun and worrying about funding it when it worked ! » Immédiatement séduit par cette phrase un peu définitive, mais ô combien réaliste à mes yeux, je me suis précipité sur Amazon pour passer ma commande.
Quelques jours plus tard, je recevais ce petit livre broché d’à peine un peu plus de 250 pages, qui plus est écrit en 1999. Un peu perplexe, je me demandais quel était l’intérêt de lire un livre sur le web, écrit il y a 20 ans, sur une histoire qui en a 30 aujourd’hui.
J’avais tort.
Ce livre est une pépite.
Tout d’abord, parce qu’on y apprend plein de choses sur la genèse de ce truc incroyable qui a bouleversé le fonctionnement de l’humanité. Comme tout un chacun, j’avais lu ce que la presse rapportait de cette histoire. Ici, il s’agit de la version du principal protagoniste: c’est bien autre chose qu’une collection de poncifs. On y décerne, d’entrée de jeu, les motivations principales de ce formidable inventeur: ouvrir un accès à la connaissance de tout ce qui peu exister, au plus grand nombre d’individus, en faisant un usage intelligent des technologies à sa disposition.
On se rend compte, au fil des pages, le formidable mélange de ténacité, de hasard et de chance, nécessaire à l’émergence du Web. Comment Berners-Lee, informaticien talentueux et passionné par le concept d’hypertexte (né avant le Web, et oui) s’est mis à assembler les technologies qui ont permis de créer le premier démonstrateur au sein de CERN, comment il a su s’appuyer sur des compétences clef – Robert Cailleau entre autres – pour enrichir ce démonstrateur, et formaliser le triptyque sur lequel s’appuie encore le Web: les URL, le langage HTML et le protocole HTTP. Comment Berners-Lee quitte le CERN pour rejoindre le MIT à l’occasion de la création du consortium en charge de maintenir en vie le Web, le W3C, en faisant face à toutes les tentatives, étatiques ou émanant d’entreprises privées, pour orienter le Web dans une direction qui n’irait pas dans le sens de la démarche d’ouverture et de partage qu’il a initiée.
Plus étonnant, j’y ai découvert des détails que j’ignorais fondamentalement, comme le fait que le premier prototype était conçu sur station NeXT en Objective C. Ou encore que dans l’intention initiale de Tim Berners-Lee, l’accès à une page devait permettre à l’internaute de lire ou de modifier le contenu affiché, ce que permettait son premier démonstrateur. Pour plus de facilité, lors du développement de navigateurs ultérieurs, par exemple sur des terminaux aux performances graphiques dégradées, cette possibilité de modification a été abandonnée, ainsi que sur Mosaic, l’ancêtre de Netscape devenu Mozilla. Depuis lors, les navigateurs n’ont servi qu’à lire le contenu en ligne, et il aura fallu, par exemple, attendre l’essor des technologies sous-jacentes à Wikipedia pour retrouver ce mode de fonctionnement.
Plus important, au-delà du récit à proprement parler, Tim Berners-Lee aborde les sujets qui fâchent, ceux liés aux évolutions des sociétés modernes dotées d’un outil aussi puissant que le Web. Tous les débats autour de la gestion des données privées, du filtrage d’accès, de la diffusion de fausses informations ou de contenus répréhensibles, de la censure des contenus, de la fraude en ligne, de l’internet à deux vitesses, qui mobilisent encore entreprises et états, étaient déjà des sujets de réflexion majeurs à l’époque où ce livre était écrit, il y a 20 ans. Qu’est ce qui a changé depuis? Disons que si ces sujets n’intéressaient qu’une petite communauté de personnes à cette époque, la plupart férues de technologie, ils sont au coeur de nos modes de vie de nos jours, et suscitent l’attention du plus grand nombre. En lisant Weaving the web, on se retrouve finalement propulsé dans une actualité bien plus prégnante qu’on ne le croit, mais avec des arguments purs, débarrassés de toutes les scories qui sont venues s’agglomérer dessus en vingt ans.
Lire les propos de Beners-Lee, c’est aussi lire le témoignage en direct d’un individu qui a réussi peu ou prou à modifier le cours du monde. Il faudra sans doute encore du temps pour que l’humanité réalise ce qu’elle doit à ce personnage, et aux deux ou trois années de sa vie passées à créer le noyau fondateur de la toile. Ce livre constitue un excellent point de départ, aussi bien pour les plus vieux que les plus jeunes.
Et à l’occasion de l’introduction du cours de Numérique et de Sciences Informatiques en classe de première, voici un livre à offrir à vos ados pour les aider à faire les bons choix.
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Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
Oui en effet, l’extrait que tu as cité dans Facebook était saisissant. Je l’ai d’ailleurs repris sur un des derniers billets du blog en te citant. Par contre, ce qui est consternant c’est de voir que son nouveau projet patine et cela n’est pas bon signe. Les utilisateurs sont en fait très contents de la situation actuelle. Pour une fois que les politiques pouvaient servir à quelque chose (réguler pour protéger la libre concurrence et le libre choix dans l’intérêt commun) …
Intéressant. A l’époque de la mode (dévastatrice) du reengineering, on disait : si vous reconceviez votre entreprise avec les technologies modernes, elle doublerait ses performances. Si le web avait démarré plus tard, peut-être ne ressemblerait-il pas à ce qu’il est aujourd’hui. Les innovations tendent à se figer rapidement.