Le moine-soldat
Et moi qui pensais qu’avec un gouvernement centriste, la vie politique serait plus tranquille ! Depuis qu’Emmanuel Macron est parvenu au pouvoir en 2017, il ne se passe pas une année, que dis-je, un trimestre, sans que le pays semble pris dans une gigantesque centrifugeuse. C’est peut-être ça, ce qui qualifier le centre, en politique : il fait fuir tout le monde.
Entre la crise Covid, les gilets jaunes, la dissolution, l’instabilité politique, en aurait pu penser avoir tout vu. Mais la semaine passée nous a montré qu’on pouvait aller encore plus loin, avec un premier ministre nommé il y a trois semaines, qui annonce la composition de son gouvernement à 22h, et qui remet sa démission le lendemain matin. De quoi faire faire une crise cardiaque au plus habile des bookmakers !
Il faut dire que la tâche confiée par le président de la République à Sebastien Lecornu était loin d’être facile. Après avoir épuisé 4 premiers ministres en 3 ans, et pas des moindres, toujours handicapé par l’absence de majorité au parlement, que pouvait bien attendre Emmanuel Macron de son ministre, quand bien même fut-il considéré comme habile et besogneux ? Ce qui devait arriver arriva, et le gouvernement à peine formé explosa sous la forme d’un tweet de Bruno Retailleau, abasourdi qu’on lui ai caché la présence de Bruno Lemaire au sein du même gouvernement. Ce qui donna l’occasion à Sebastien Lecornu de rentrer dans le livre des records, celi ude durée d’un gouvernement, toutes républiques confondues.
Mais revenons à nos moutons. Ne pas annoncer au principal ministre LR qu’un de ses anciens petits copains allait faire son grand come-back, était-ce vraiment un oubli ? Ou bien ne s’agissait-il pas d’un de ces paris politiques stupides, dont Emmanuel Macron est semble-t-il friand, et consistant à prendre le contre-pied de ses alliés de la veille. Après une dissolution hasardeuse censée remettre le PS en selle – on a vu le résultat – voici qu’il se plairait à faire exploser en plein vol le missile Retailleau en lui faisant porter la responsabilité de l’échec de ce nouveau gouvernement. Machiavel n’a pas à s’inquiéter, Emmanuel Macron ne lui arrive pas encore à la hauteur.
Le résultat, c’est une cartouche en moins dans la besace présidentielle. Le chef de l’État a eu beau demander à Sebastien Lecornu de travailler à la constitution d’un nouveau gouvernement – un Lecornu bis, qui aurait semblé bien biscornu… – celui qui s’est défini hier comme « moine-soldat » a poliment refusé. On peut le comprendre. Mais c’est dommage, car il passait bien à la télévision, ce jeune premier ministre, face à une Léa Salamé plus enrouée que de nature. Ancien chef des armées, le moine-soldat s’en est tiré convenablement, ne prenant aucun engagement, et laissant le spectateur avec le sentiment d’avoir assisté à une demi-heure d’explications pour ne rien dire.
En fait, Sebastien Lecornu a tout simplement montré qu’il ne fallait pas le prendre pour un corniaud. Le Corniaud, vous vous en souvenez ? Ce film où Bourvil, manipulé par un caïd de la pègre magistralement interprété par Louis de Funès, devait tenir le rôle d’une mule, et faire traverser la France à une superbe décapotable américaine renfermant un butin inestimable.
On se souvient de la fin.
Pas si youkounkoun que ça, Lecornyou…

Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec