Quelques jours à Prague

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Prague, à un peu plus d’une heure trente de vol depuis Paris, est une des destinations européennes dont il ne faut pas se priver. Ville accessible, dont le centre touristique bénéficie d’un incroyable mélange de styles baroque, renaissance ou gothique. Capitale d’un pays resté près d’un demi-siècle sous emprise communiste, et qui a basculé en une vingtaine d’années dans ce gloubi-boulga de marques de luxe et de grande consommation qui a envahi la planète. Ville où il est possible d’assister à plusieurs concerts classiques chaque jour, où le bleu du ciel rivalise avec les joyeuses façades colorées, ville enfin, dont l’histoire est incroyablement mêlée à celle de sa communauté juive.

C’est d’ailleurs une des spécificités de Prague: on y visite son quartier juif et ses synagogues, comme on visiterait àParis le Louvre ou les Tuileries. Il faut dire que la relation entre le peuple Tchèque et ses juifs est particulièrement intéressante. De nombreuses expositions, dans certaines de synagogues de la ville, en retracent les moments clefs.

C’est d’abord à la synagogue Maisel qu’il faut se rendre: on y découvre l’histoire des premiers temps de cette communauté. Une animation 3D propose une représentation du quartier juif au moyen-âge. Établie sans doute autour du Xe siècle, la communauté de Prague connaît son premier pogrom lors du passage des Croisés. En 1389, un nouveau pogrom se déroule à l’occasion de la Pâque en 1389: 3000 juifs sont alors massacrés. Une première synagogue dont il ne reste plus de trace est construite, puis une seconde, toujours debout et toujours en fonction: la synagogue « vieille nouvelle », construite en 1270 par des moines, car les juifs ne faisaient par partie de la corporation des bâtisseurs: ces mêmes moines construisirent d’ailleurs à Prague une église sur le même modèle. Elle est aussi connue pour sa célèbre horloge inversée mais ajoutée bien plus tard. C’est la synagogue du Maharal, rabbin talmudiste et mystique du 16ème siècle, et venu s’établir à Prague à l’époque ou l’empereur Rodolphe invita de nombreux savants et alchimistes, dont Johannes Kepler, à venir s’y établir.

Au XVIIème siècle, les guerres de religion font rage. Les jésuites viennent convertir en masse les tchèques adeptes de la réforme introduite deux siècles plus tôt par Jean Hus. Mais non content d’éradiquer la réforme, ils vont tenter, en vain, de convertir les juifs de Prague, notamment par le truchement de ce Christ bien curieux, sur la tête duquel brille une injonction en hébreu, qui aura peu d’effet dans la réalité.

Mais c’est sous le règne de Joseph II que la communauté juive va vraiment connaître son essor. Souverain moderne et pourtant frère de Marie-Antoinette – si, si, la Marie-Antoinette qui finit guillotinée – il tenta de mettre en place de nombreuses réformes (6000 décrets en une dizaine d’années), et fit preuve d’un esprit d’ouverture et de tolérance incroyable pour cette époque, alors que sa mère, Marie-Thérèse, avait fait preuve d’une aversion extrême pour les ressortissants juifs de son empire. C’est un véritable dialogue qui s’installe entre l’empereur, et le rabbin de la communauté, Ezekiel Landau, auteur du Noda Biyehouda. La communauté juive de Prague va non seulement bénéficier d’un statut beaucoup plus souple, mais elle va surtout connaître un coup d’accélérateur foudroyant par le biais d’une réforme de l’enseignement.


Constituée principalement de marchands, cette communauté va désormais se transformer pour voir apparaître des médecins, des entrepreneurs, des artistes, des écrivains, des musiciens… C’est l’objet de l’exposition qui se trouve dans la superbe synagogue espagnole, qui n’a rien d’espagnol si ce n’est sa décoration orientale, et qui sert de nos jours de lieu de culte pour la communauté réformée. Cette exposition retrace la vie de la communauté de la fin du XVIIIème siècle à la seconde guerre mondiale.

La seconde guerre mondiale débute sur un coup de théâtre: les accords de Munich, par lesquels la France et le Royaume-Uni, ou plutôt Daladier et Chamberlain, vont sceller le destin de la jeune démocratie Tchécoslovaque. Les années qui suivent seront terribles pour la communauté juive de Bohême-Moravie, qui est décimée à 90%. Le camp de Terezin, ultime étape avant l’extermination, est situé au nord de Prague, à Terezin (ville du nom de l’impératrice, Marie-Thérèse, citée plus haut…), un camp qui sert de modèle d’exposition lors des visites de la Croix-Rouge. C’est ce qu’explique l’exposition située derrière le Centre communautaire. Mais sur ce sujet, mieux vaut prendre la voiture et se rendre à terezin, à moins d’une heure de route, où le camp peut aujourd’hui encore être visité.

La dernière exposition sur le passé juif de Prague, se trouve à l’arrière de la synagogue espagnole. C’est une petite et courte exposition sur les rapports tendus entre la communauté juive et le régime communiste, notamment durant la période dite de « normalisation » qui suivit le printemps de Prague, en 1968. L’Europe de l’Est voit alors s’envoler tout projet d’émancipation. Pire, tout ce qui touche à l’Amérique ou à ses alliés, relève de l’anti-communisme. Or, c’est bien connu, la diaspora juive a des ramifications un peu partout, notamment aux États-Unis ou en Israel, où des proches des quelques juifs ui habitent encore Prague sont partis s’établir, avant guerre pour les plus chanceux. Du coup, les juifs de Prague font l’objet d’une surveillance accrue. Le décès du grand rabbin de Prague en 1970, et le passage à l’ouest de son successeur lors de sa formation de rabbin en Angleterre – il n’y avait plus d’école rabbinique dans l’Europe communiste – ont servi le dessein des autorités alors en place: l’absence de vie juive communautaire était, à leurs yeux, le meilleur moyen pour couper les ponts avec tout velléité sioniste. C’est l’époque où disparaissent même, en province, des synagogues qui avaient survécu à la barbarie nazie.

La communauté juive pragoise, forte de 1500 membres environ aujourd’hui, jouis d’infrastructures rénovées. Synagogues actives et restaurants cachers sont l’heureuse conséquence d’un tourisme dynamique. On vient de loin pour visiter les lieux que je viens d’évoquer. On y entend parler hébreu, mais aussi portugais, allemand, russe, et bien sûr, anglais (avec un fort accent américain) et français. Prague et sa communauté n’attendent plus que votre visite: un weekend suffit amplement pour goûter à l’ambiance pragoise, compter 4 à 6 jours si vous voulez pousser jusqu’à Terezin, ou visiter les villes de thermales – les anciennes Carlsbad et Marienbad – à la frontière avec l’Autriche.

Pour celles et ceux que cela intéresserait, voici un rapide diaporama des quelques photos prises durant ces quelques jours.
Prague 2018

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