Accepter de perdre ses enfants ?
De toutes les controverses qui ont eu lieu durant l’année qui va bientôt s’achever, celle soulevée par le chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, est probablement celle qui a provoqué le clivage le plus intéressant. Revenons rapidement sur ce court extrait de son intervention devant le Congrès des maires de France (un extrait plus long peut être vu ici, mais l’AFP ne permet pas de l’intégrer sur ce blog).
Voici ce que dit le CEMA : Ce qu’il nous manque, et c’est là que vous avez un rôle majeur, c’est la force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est…. Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants (parce qu’il faut dire les choses), de souffrir économiquement, parce que les priorités iront à de la production de défense, alors on est en risque.
Ça fait froid dans le dos, non ? Certes. Et après ? Le général Mandon était dans son rôle, celui d’un chef des armées, qui doit assurer la défense de son pays. Et assurer la défense de son pays, ce n’est pas dire que « tout va très bien, madame la Marquise », mais de mettre ses concitoyens face à aux réalités d’un mode devenu, sans que nos compatriotes n’en prennent réellement conscience, de plus en plus toxique. Et où notre pays s’est peu à peu endormi, à force de se laisser assoupir par un confort absolu, entre téléviseurs à bas prix, réseaux sociaux et surcharge pondérale.
En réalité, personne n’a envie d’envoyer ses enfants au casse-pipe, ni vous ni moi. Personne ne se lève un matin en se disant : chouette, aujourd’hui j’envoie mon fils ou ma fille se faire sauter la cervelle ou se prendre deux balles. Personne à part les débiles du Hamas ou les populations endoctrinées par des régimes ou des gourous qui préfèrent sacrifier leurs enfants au nom du djihad plutôt que faire la paix.
Or, on le sait depuis au moins le Ve siècle, si vis pacem para bellum. Paradoxalement, la paix nécessite qu’on soit prêt à la défendre, et donc à l’enfreindre en faisant la guerre. C’est le principe qui gouverne toutes les sociétés organisées, démocratiques ou non, qui se sont dotées de structures militaires d’abord pour se défendre. Ces armées, en état d’alerte pendant la guerre froide, ont subi, au moins du côté européen, un processus de lent désengagement, dont la suppression du service national en France n’est qu’un des exemples les plus éloquents. Résultat : on a le sentiment, peut-être abusif, que plus personne en France – hormis les quelques centaines de milliers d’individus concernés par la défense nationale, n’est prêt à prendre les armes pour défendre son pays.
Il est intéressant de comparer cela avec la situation en Ukraine ou en Israel. Dans le premier cas, ce pays, qui venait de traverser une révolution pacifique une décennie plus tôt, s’est vu pris dans une tourmente qui dure maintenant depuis presque quatre ans, et se remettre à se battre, face à un adversaire dix fois plus gros que lui : sur le terrain, dans les usines, dans les villages. Aucun Ukrainien ne se lève le matin en se disant qu’il veut mourir ou voir mourir les siens. Mais il sait que l’alternative – le renoncement face à l’envahisseur russe – n’est pas une option.
Le même état d’esprit règne en Israel. Aucun israélien ne se réveille en se disant qu’il aimerait vivre sa dernière journée ou que sa progéniture vive pareille aventure. Mais tous savent que renoncer à se battre ou à se mettre en péril, c’est affronter un péril encore plus grand, venu d’un pays limitrophe ou de la périphérie.
Revenons en France, et sur la controverse suite aux propos du général Mandon. Quelle a été la réaction à droite comme à gauche ? D’un côté, on l’a critiqué en le considérant comme un pantin chargé de faire diversion, aux ordres du président de la république, pour brandir l’épouvantail russe et faire oublier les errements politiques de ces derniers mois. À gauche, on l’a critiqué comme un va-t-en guerre irresponsable, au nom d’un universalisme pacifique dont on sait bien où il mène.
En réalité, en prononçant ces quelques mots, le général Mandon a fait un bien fou à la France. Ou du moins à ceux qui l’ont entendu. Il a rappelé qu’il existe encore, en France, des personnes censées, capables de voir plus loin que leurs propres intérêts.
C’est cela, parmi plein d’autres choses encore, qu’on attend d’un chef militaire.
Hervé Kabla, CTO de Cymon, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec
















