Conduire ou pianoter un écran tactile, il va falloir choisir..
L’usage d’un smartphone tout en conduisant est dangereux, tout le monde est prêt à le reconnaître, et les amendes encourues en cas de contrôle devraient probablement être plus élevées qu’elles ne le sont de nos jours. Les quelques secondes d’inattention dues à la saisie d’un SMS, à un check sur les réseaux sociaux ou à je ne sais quelle autre application – y compris Waze – peuvent provoquer des drames et briser des familles à jamais.
Pourtant, depuis une dizaine d’années, les constructeurs de véhicules automobiles sont tombés dans une mode étrange, qui vise non à limiter de tels usages, mais au contraire à les multiplier, voire à les rendre parfois nécessaires. J’en veux pour illustration la profusion de tableaux de bords numériques et écrans tactiles proposés sur les véhicules récents, s’inspirant d’ailleurs du probable précurseur en la matière, Tesla, avec son espèce de tablette centrale, sorte d’immense iPad censé remplacer le vieux tableau de bord analogique, plein de boutons et de curseurs en relief, qui caractérisait les voitures de ma jeunesse…
Or il n’est pas moins dangereux de pianoter sur un smartphone, fut-ce un iPhone ultra moderne doté de Siri, que de pianoter sur une tablette, même s’il s’agit du tableau de bord du dernier SUV Mercedes, Audi ou BYD. C’est ce que montre une récente étude, évoquée dans un article de The Economist, étude réalisée par une journal automobile suédois – ce qui nous rappelle combien le constructeur suédois, SAAB, était réputé pour la sécurité de ses véhicules, mais c’est une autre histoire…
Les journalistes de Vi Bilagare ont comparé la durée moyenne d’inattention requise pour changer de station de radio, ou modifier la température à bord de l’habitacle, en nombre de secondes. Le résultat est sans équivoque : on passe d’une seconde à près de 10 secondes pour ces tâches somme toute assez banales. Or en 10 secondes, un véhicule lancé à 90km/h parcours une distance non négligeable, 250 mètres. Autrement dit, il y a peu de chances que vous ayez identifié le danger qui risque de se présenter à vous au moment où vous allez vous concentrer de nouveau sur la route, après avoir laissé votre esprit divaguer sur votre tableau de bord, aussi numérique et intelligent (smart) soit-il.
Je suis certain que tous les conducteurs qui ont acquis un véhicule récent ces dix dernières années se sont déjà rendus compte de l’allongement de la durée d’inattention. Elle est due au fait que contrairement à nos vieux boutons, qui nécessitaient surtout une mémorisation spatiale, les interfaces des écrans tactiles ne fournissent aucune information tridimensionnelle, et que pour valider un choix, il faut observer ce qui se passe à l’écran. C’est tout con, mais ça fait un sacré changement.
Heureux propriétaire de deux véhicules dont la somme des âges dépasse 40 ans – ce qui pose d’autres problèmes, soyez-en certains – je ne suis finalement que rarement confronté à ce type de problème. Il m’est arrivé, occasionnellement, en conduisant un véhicule de location récent ou la voiture d’un de mes enfants, de galérer avec ces interfaces tactiles, et j’en ai conclu qu’elles sont inutilisables en roulant, et qu’on ne peut les utiliser qu’à l’arrêt à un feu, ou avant de démarrer son véhicule.
Mais je ne serais pas étonné qu’un de ces quatre, un état particulièrement sensible aux problèmes de sécurité routière ne légifère sur l’usage d’écrans tactiles dans les habitacles de automobiles.
Les constructeurs devront alors faire face à un choix cornélien : revenir à des interfaces vieillottes à base de boutons et de curseurs en 3D, ou développer des interfaces vocales, dont on peut déjà juger de l’efficacité en jouant avec Siri ou Alexa…

Hervé Kabla, ancien patron d’agence de comm’, consultant très digital et cofondateur de la série des livres expliqués à mon boss.
Crédits photo : Yann Gourvennec