Le rapport de Bernard Attali sur l’Ecole polytechnique

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Rapport Bernard AttaliDepuis sa création, il y a plus de deux siècles, l’Ecole polytechnique semble n’avoir que peu évolué quand on la regarde de l’extérieur. Funeste erreur: cette école d’excellence n’a eu de cesse d’évoluer tout au long de son existence. L’école actuelle, avec ses presque 500 élèves dont une part importante d’étudiants étrangers, pour beaucoup chinois, de masters et de doctorants, diffère de celle que j’ai connue il y a trente ans, qui elle-même était bien différente de celle que fréquentèrent les polytechniciens au sortir du milieu du siècle dernier, en plein coeur de Paris. Mais ces évolutions sont lentes, et pour beaucoup d’observateurs, semblent ne pas lui permettre d’affronter la compétition internationale qui l’oppose à de grandes universités internationales. C’est la raison pour laquelle le gouvernement a commandé à Bernard Attali, une analyse sur la stratégie de l’école, afin de « …déterminer si le modèle de l’école lui permet de répondre aux exigences internationales, et de concilier formation des futurs agents de l’Etat et des entrepreneurs privés« .

Le résultat, c’est ce document de 80 pages, dont 15 d’annexes, qui fait parler de lui depuis quelques jours, sur un ton souvent acerbe et critique. Qu’en penser? Voici quelques pistes de réflexion.

Ce document part d’un énoncé initial, avec lequel je me suis personnellement tout de suite senti mal à l’aise, comme d’autres lecteurs, je crois.

Le principal défi qui se pose à l’École se résume donc ainsi : est-il possible de rester une école d’excellence malgré une relative petite taille ? La réponse est clairement non.

Ainsi donc, le sujet principal, c’est donc le classement (de Shanghai). La conclusion arrive avant même toute forme de démonstration ou d’explications. Est-ce vraiment ce qui était demandé, à savoir une suite d’arguments ayant pour but de justifier les mesures difficiles qui suivent dans les pages suivantes? On part sur de mauvaises bases…

La suite, c’est une analyse du positionnement de l’école, de ses forces et des ses faiblesses dans plusieurs domaines: les rapports avec la Défense, les rapports avec l’univers de la recherche, l’intégration des besoins de l’état dans la formation des élèves, la diversification des modes de recrutement des élèves, les rapports entre l’association des anciens élèves et la fondation, le recrutement à l’international. Il ne m’appartient pas de juger de la valeur de toutes ces propositions, et je laisse le lecteur se faire une idée par lui-même. Certaines mesures ont « fait le buzz », car elles remettent en cause certains dogmes de l’école (solde des élèves, recrutement post-bac), et peuvent choquer.

Mais pour mieux apprécier ces propositions, voici quelques repères qui en élargiront le périmètre.

  • Il faut d’abord avoir à l’esprit que chaque pays dispose de ses propres filières d’excellence: la Suisse, les Etats-Unis, la Chine… Avant de toucher à sa propre filière d’excellence, jetons un oeil à ce qui se fait dans ces pays: l’herbe est souvent plus verte ailleurs, mais comment ces pays ont-ils élaboré et fait évolué leurs filières?
  • La filière d’excellence à la française est l’aboutissement de deux siècles d’évolution et de spécialisation, un dernier héritage de l’empire. L’Ecole polytechnique date à peu près de la même époque que l’Ecole des Mines ou des Ponts, que l’Ecole Centrale. Ne sont-elles pas elles aussi concernées par les évolutions proposées? Et plutôt que de parler de l’X dans une nouvelle dimension, ne devrait-on pas parler de l’évolution de la filière d’excellence à la française?
  • Des tentatives de rapprochement entre écoles d’ingénieurs ont déjà eu lieu par le passé, dans le cadre de ParisTech. Le résultat est mi-figue, mi-raisin, le rapport le rappel abondamment. Pourquoi cela marcherait-il cette fois-ci? Ne se heurtera-t-on pas de nouveau à des réticences qui sont le fruit du mode de sélection, si particulier?
  • A chaque fois que j’ai eu à expliquer le fonctionnement de l’X à l’étranger, je me suis heurté ) une incompréhension majeure sur le mode d’appellation: hors de France, on fait plus facilement la distinction entre un ingénieur (qui applique un savoir) et un scientifique (qui développe un savoir).
  • Le rapport met le doigt sur un des paradoxes majeures, la faiblesse des montants collectés par des dons d’anciens élèves, par rapport à des institutions étrangères d’ordre similaire. Est-ce dû au rapport difficile que nos compatriotes ont à l’argent? Ou à l’habitude que nous avons de croire que l’éducation doit être gratuite ou presque? Probablement un peu des deux.
  • Ce qui fait la différence entre la filière d’excellence à la française, et d’autres filières à l’étranger, et le rapport insiste également dessus, c’est cette tendance au relâchement qu’ont la plupart des élèves à l’issue des concours. Normal, direz-vous, après deux ou trois années de pression intense. Mais demandez à un élève du Technion s’il relâche ou non la pression tout au long des cinq années ou plus qu’il passe dans cette université: vous verrez que cela ne cesse à aucun moment, et que la sélection pour faire partie des meilleurs dure du début à la fin. Peut-être est-ce par là qu’il faudrait commencer?
  • On reproche aux X leur endogamie sélective, leur propension à pousser leurs rejetons à suivre les mêmes études. Mais n’est-ce pas un trait commun à tous les hommes, de pousser leurs enfants à suivre leur trace ou à faire les études qu’ils considèrent les plus abouties? Après tout, il n’y a qu’à fréquenter des dentistes et des pharmaciens pour s’en convaincre…

Et puis, l’Ecole polytechnique, comme dit précédemment, a déjà commencé à bouger, notamment dans le domaine de l’entrepreneuriat et des rapports à l’entreprise. Ce sont des frémissements, mais le nombre de créateurs de startup issus de l’X va croissant depuis quelques années, l’exemple des succès récents comme Prynt, Alkemics ou Wit.ai, en sont la démonstration la plus flagrante.

Comme tout document appelé à proposer des réformes profondes, le rapport de Bernard Attali dérange, fait grincer. C’est normal, car c’est son rôle. Sera-ce utile? L’avenir le dira.

Voici quelques liens vers d’autres réactions au rapport Attali.

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