100 idées pour une France numérique

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A quelques mois de l’élection présidentielle de 2017, l’Institut G9+ – think tank qui regroupe des fédère d’anciens élèves issus d’une vingtaine de grandes écoles d’ingénieur et de commerce françaises – a eu la bonne idée de publier un ouvrage collectif consacré au numérique. Issu de la plateforme d’idées qui porte le même non, 100 idées pour une France numérique est le résultat d’une compilation d’une centaine de propositions émanant d’une soixantaine de contributeurs différents.
100-idees-france-numeriqueL’initiative est éminemment louable. Sans sombrer dans le pessimisme, il faut bien avor conscience que la période actuelle est une période cruciale en terme de changement et de bouleversements liés à la transformation digitale pardon numérique.

Le livre est donc scindé en 13 parties – que ne pourrait-on écrire sur la symbolique du nombre 13… – qui couvrent une multitude d’enjeux, tant de société que de mutation de l’économie et des entreprises : développer l’écosystème du numérique, transformer l’entreprise, développer le e-commerce, refondre les relations au travail, éduquer au numérique, refondre la formation professionnelle, transformer l’administration, construire les smart cities, digitaliser l’identité et la citoyenneté (tiens, un glissement de numérique à digital…), sécuriser les données, l’e-santé, culture et numérique, et enfin, la question des forces de sécurité. Au total, une grande variété de sujets, abordés chacun par une demi-douzaine d’auteurs en moyenne. Certaines propositions ne sont pas signées – ou plutôt sont signées institut G9+ – sans qu’on comprenne vraiment pourquoi: leurs auteurs ont-ils souhaité garder l’anonymat?

J’ai reçu le livre il y a quelques jours, et l’ai dévoré en un weekend. Il faut dire que c’est écrit de manière alerte et que les sujets sont dans l’ensemble bien maîtrisés. On sent que les auteurs y ont mis de la conviction, et c’est bien ce qu’on attend de ce type d’ouvrage collaboratif.

Pour autant, je dois avouer une certaine frustration à la lecture du livre. Le livre se veut une sorte de catalogue d’idées à la disposition des candidats en panne d’idées numériques, et c’est bien. Mais dans leur souci de bien faire, on se rend rapidement compte que ça pat dans tous les sens, et qu’à côté de propositions sérieuses, certaines semblent complètement illusoires. Le tout confère au livre une épaisseur inégale.

Prenons quelques exemples. D’un côté, on trouve des propositions sérieuses, hautement souhaitables, comme celles proposées par Alexandre Moatti sur culture et numérique – son cheval de bataille depuis plusieurs années – ou celles de Françoise Gri, sur l’évolution du CIR, qui ne sert évidemment à rien s’il ne sert qu’à financer de la R&D sans s’assurer du succès des résultats obtenus.

Mais à côté de ces propositions qui semblent tomber sous le sens, on trouve d’autres pistes qui, à mon sens, relèvent plus de l’utopie. Tout le volet sur l’éducation, par exemple, m’a laissé de glace. Il faut dire que je ne suis absolument pas partisan de cette mouvance qui veut enseigner le code à l’école. Et quoi, ce n’est pas parce que tout le monde doit manger qu’on enseigne la cuisine à tous les élèves! L’appétence au numérique et aux métiers de l’informatique n’est absolument pas partagée de manière homogène au travers de la population. Et surtout, la culture digitale ne relève pas uniquement de la programmation: le design, l’ergonomie, le marketing, sont des facteurs de succès tout aussi importants: nos ingénieurs ont souvent tendance à les sous-estimer. Idem sur les propositions liées aux visas accordés aux ingénieurs d’universités technologiques à l’étranger: outre les problèmes liés à la perception négative des flux migratoires en France, il faut avoir conscience du fait que la France n’est peut-être pas la destination préférée de ces profils, plus tentés par la réussite d’un parcours aux US ou ailleurs. A l’étranger, notre beau pays brille par sa démocratie plus que par ses réussites économiques.

En fait, le malaise que je ressens en refermant cet ouvrage est lié à un élément dont les auteurs ne tiennent pas compte: c’est qu’en matière d’innovation numérique, le succès tient plus de l’opportunité de personnalités visionnaires et obstinées, que de planifications réfléchies et mûries de longue date, et encore moins d’initiatives gouvernementales. En appelant à une meilleure culture numérique de nos prochains gouvernements, les auteurs de 100 idées pour une France numérique vont trop loin. Nous savons très bien, nous professionnels du numérique, que c’est du côté des entrepreneurs et des inventeurs qu’il faut se tourner pour voire éclore un Google ou un Facebook français – si tant est que la démographie permette l’essor d’une telle entreprise dans un pays qui compte cinq fois moins d’habitants que les Etats-Unis. Supposer que grâce à une meilleure culture des dirigeants, le contexte sera plus favorable, c’est probablement faire preuve d’une grande naïveté (mais on sait, depuis Gérald Bronner que les plus diplômés ne sont pas forcément les moins crédules).

Ma (petite) déception s’explique probablement pour une autre raison: la cible principale d’un tel ouvrage, ce n’est pas la communauté des professionnels du numérique, mais la vaste cohorte de celles et de ceux qui ne se sentent pas à l’aise avec le sujet. Espérons que le hasard mettra sur leur chemin ces 100 idées pour une France numérique, et que par chance, ils tomberont sur la bonne page les concernant. D’ailleurs, il manque un élément important à ce livre: les bios des contributeurs. Les pros du numérique connaissent probablement les principaux noms des signataires. Mais les autres, dans leur immense majorité, ignorent sans doute qui se cache derrière tel ou te nom. L’éditeur aurait tout intérêt, me semble-t-il, à rajouter trois ou quatre lignes pour présenter chaque intervenant, sans tomber dans la flagornerie ni l’étalage de diplômes.

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